Tribune « Mettre en place maintenant de nouveaux indicateurs de richesse » du HuffingtonPost du 23 janvier 2014
Retrouvez la tribune d’Eva Sas et de Jean Launay parue dans le HuffingtonPost.
Mettre en place maintenant de nouveaux indicateurs de richesse
En septembre 2009, la Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi remettait son rapport sur la mesure des performances économiques et du progrès social. L’engouement pour les « nouveaux indicateurs de richesse » était alors à son apogée. Une proposition de loi débattue le 23 janvier à l’Assemblée Nationale a pour ambition de marquer une nouvelle étape dans ce domaine.
Les limites du PIB comme mesure du progrès de notre société font, depuis le rapport de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi, l’objet d’un relatif consensus. Trois principales critiques peuvent en effet lui être adressées. D’une part, le PIB totalise ce qui se vend ou s’achète, ainsi que la production des administrations publiques, sans considération de la contribution au bien-être.
Ainsi la réparation de dégâts liés à des accidents ou des catastrophes naturelles, vient accroître le PIB alors que, de fait, la qualité de vie en est dégradée. D’autre part, le PIB ne prend pas en compte la répartition de la richesse créée, et une croissance du PIB peut donc tout à fait masquer un approfondissement des inégalités, et une dégradation de la situation des plus fragiles.
Enfin, le PIB ne prend pas en considération les stocks dans lesquels il faut puiser pour assurer la production, et ne rend donc pas compte de l’épuisement des ressources naturelles liées à nos modes de consommation. C’est donc un indicateur de court terme, qui ne dit rien de la soutenabilité de notre modèle de développement.
Ces constats étant partagés et reconnus, les pouvoirs publics ont progressé pour mesurer l’efficacité de nos politiques à l’aune d’autres indicateurs, complémentaires au PIB. Les recommandations du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi ont été en partie suivies. Sur la question de la répartition des richesses, l’INSEE a publié des enquêtes régulières sur les inégalités de ressources, ou sur l’évolution des très hauts revenus.
Le Commissariat Général au Développement Durable suit quant à lui des indicateurs essentiels comme l’empreinte carbone ou l’empreinte eau de la France. Mais il est nécessaire de passer une autre étape. Pourquoi ? Parce que malgré la publication de ces indicateurs, ils restent secondaires dans l’évaluation des politiques publiques, le PIB restant le critère ultime de réussite.
Or un gouvernement qui réussit ne peut pas être, ne peut plus être, dans l’opinion publique, les medias, ou au sein de la sphère politique elle-même, un gouvernement qui permet à la France de « renouer avec la croissance » ou qui « soutient la reprise », quelle que soit l’accroissement des inégalités, la dégradation de notre environnement ou de notre santé.
L’enjeu est donc aujourd’hui de mettre en visibilité ces indicateurs, pour que les politiques menées soient évaluées tant sur la création d’emplois, la réduction des inégalités, l’amélioration de la santé de nos concitoyens, la protection de notre environnement que sur l’évolution du PIB. Or cette mise en visibilité suppose deux éléments. D’une part, que nous disposions d’indicateurs synthétiques, qui puissent être aussi aisément communicables que le PIB, comme l’indicateur de santé sociale, qui permet de traduire la situation de la France au regard de la pauvreté, du chômage, des inégalités, de la délinquance et de la santé ; ou l’empreinte écologique, qui rend compte de la pression environnementale exercée par notre consommation. Ces indicateurs synthétiques ne s’opposent pas au suivi d’indicateurs multiples, nécessaires à une analyse pertinente. Ils sont d’ailleurs bien évidemment décomposables de la même façon que le PIB.
Cela suppose d’autre part, que la communication sur ces indicateurs soit à la hauteur de celle déployée autour du PIB. C’est pourquoi c’est au moment du budget, moment crucial de la vie politique du pays, que ces indicateurs doivent être communiqués.
C’est le sens de la proposition de loi qui sera débattue ce jeudi 23 janvier à l’Assemblée Nationale. Une nouvelle étape doit être franchie pour que les nouveaux indicateurs de richesse soient réellement pris en compte. Le progrès n’est pas affaire de PIB et nous devons retrouver le sens de nos politiques économiques et sociales : l’emploi, la réduction des inégalités, la qualité de vie, la protection de notre environnement.