Réforme bancaire: les députés de gauche veulent « tenir le rapport de force », l’Express du 07 février 2013

Réforme bancaire: les députés de gauche veulent « tenir le rapport de force »

Dans la nuit de jeudi à vendredi, la commission des affaires économiques a terminé l’examen du projet de loi de séparation des banques. Au terme de discussions menées avec Bercy, la majorité a réussi à durcir le texte du gouvernement. Mais ce n’est pas fini.

Réforme bancaire: les députés de gauche veulent "tenir le rapport de force"

Le ministre de l’Economie, Pierre Moscovici surveille les députés de la majorité, occupés à durcir son projet de loi de réforme du secteur bancaire.

Reuters/Charles Platiau

Quand les banquiers reconnaissent que moins de 1% de leurs activités sera concerné par la future réforme, quand l’UMP, par la voix de Christian Jacob, affirme qu’elle pourra s’accommoder de cette même loi, quand le centre droit la qualifie de « minimale », c’est que, pour la gauche, il y a un souci.

Les députés de la majorité l’ont bien compris et s’attellent depuis plusieurs semaines à la durcir. Avec l’oeil officiellement bienveillant de Pierre Moscovici, artisan de cette réforme. Dès sa présentation, le 19 décembre dernier, le ministre de l’Economie ouvrait d’ailleurs la voie à des amendements socialistes. « Le gouvernement a décidé de lâcher du lest vis-à-vis du Parlement. L’heure n’est pas à une logique d’opposition mais de collaboration », commente un député de l’aile gauche du PS. D’autant que vu les promesses du candidat Hollande, notamment prononcées au Bourget en janvier 2012, les députés sont légitimes à demander un durcissement du projet de loi.

En coulisse, les tractations sont toutefois restées animées. Ainsi, ce jeudi, en préambule de la commission des affaires économiques, trois réunions furent nécessaires pour que députés et gouvernement accordent leurs violons. Puis il a fallu siéger de 16h30 à 2h du matin pour épuiser les 300 amendements déposés, majoritairement par la gauche. « On nous a imposé le traité européen et le crédit d’impôts compétitivité entreprise, il fallait bien lâcher du lest à un moment », souffle un député PS.

Au final, tout le monde semble satisfait des avancées obtenues. « Le texte a été amélioré, renforcé, durci (…) en accord avec moi », assurait Pierre Moscovici ce vendredi matin sur France Inter. « A l’arrivée, on peut faire ce récit, nuance Christian Paul, député PS de la Nièvre. L’essentiel, c’est que ces amendements ont été adoptés avec l’accord du gouvernement. On lui avait lancé un défi en début d’année parce qu’on jugeait que le texte n’était pas suffisant, particulièrement sur les paradis fiscaux et le plafonnement des frais bancaires. »

« Reste à sécuriser ce que l’on a obtenu »

Or, sur le premier point, le défi a été relevé par l’exécutif. Les députés de gauche ont réussi à inclure dans le projet de loi un contrôle accru des activités bancaires dans les paradis fiscaux, en exigeant que les établissements communiquent pour chaque pays la nature de leurs activités, leurs effectifs et leurs produits nets bancaires.

Sur le second -les frais bancaires-, ces élus veulent aller plus loin. Dans la version actuelle, les frais ne seraient plafonnés que pour les revenus modestes. « Nous souhaitons l’étendre à tous les Français », fait valoir Christian Paul.

Autre sujet qui fut l’objet d’une « stimulation interne vigoureuse », pour reprendre les mots du député de la Nièvre, la tenue de marché, par nature spéculative. Ce terme, devenu générique, englobe toutes les opérations réalisées sur un marché pour en assurer la liquidité. Dans la version « Moscovici », ces activités n’étaient pas concernées par la filialisation. L’écrasante majorité du groupe PS avait protesté, dont la rapporteure de loi, Karine Berger. Résultat: la « tenue de marché » devrait être strictement encadrée « pour que les banques ne puissent pas y dissimuler des opérations spéculatives », note le groupe socialiste à l’Assemblée. Par ailleurs, comme le préconise le rapport Liikanen, il appartiendra au ministre des Finances de fixer un seuil au-delà duquel ces activités devront être cantonnées dans une filiale à part.

L’écologiste Eva Sas, vice-présidente de la commission des affaires économiques, se félicite de ces avancées. Reste à « sécuriser ce que l’on a obtenu », ajoute-t-elle. Jusqu’à l’examen en séance publique prévu mardi et mercredi prochains, tout peut encore changer, tant « on a plusieurs fois vu des amendements validés en commission et rejetés au moment du vote ».

« On sent que cette loi commence à déranger »

Pour le député PS Jean Launay, « on est dans la politique des petits pas », quand lui semble vouloir allonger la foulée: « Je sens qu’il y a encore des marges de manoeuvre », assure-t-il. Sur les frais bancaires, donc, mais aussi sur les paradis fiscaux et la spéculation concernant les matières premières agricoles. Les amendements sur ce sujet ont été repoussés par Bercy en commission, sous prétexte que la France ne pouvait limiter cette activité seule. « Je le redéposerai », assure cependant Jean Launay.

Le temps presse: les amendements doivent être bouclés avant vendredi 17 heures. D’où les « échanges permanents entre députés et gouvernement », ajoute Christian Paul.

Entre députés, gouvernement, certes, mais aussi avec le lobby bancaire, invité de longue date à la table des négociations. Ce qui inspire à Eva Sas ce conseil de bon sens: « On sent que cette loi commence à déranger. Et c’est bien pour ça qu’il faut tenir le rapport de force jusqu’au bout. »

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