Tribune : « Pour que l’impunité cesse, levons l’omerta »
Au lendemain des révélations sur le député Denis Baupin, un après la parution d’un appel de journalistes politiques, cinq ans après l’affaire DSK, j’ai signé cette tribune et l’appel joint avec plus de 500 militant-es et élu-es.
«Si Truc te propose de dîner au restaurant, dis non.» «Surtout ne prends pas l’ascenseur seule avec Machin.» «Sois prudente si tu restes le soir seule au bureau avec Untel.» «Si Bidule est là, ferme la porte mais ne parle pas.» Ces phrases, elles se passent entre femmes. Elles circulent discrètement, se chuchotent même. Ces phrases disent tout. Elles disent d’abord que le changement de comportement, la modification des habitudes, est à la charge des femmes. Elles disent aussi que l’on sait, que beaucoup savent, mais que cela reste tabou. Elles disent surtout que ces Untel, Machin et Truc continueront, puisque ce n’est jamais à eux que l’on s’adresse, mais aux femmes qui doivent supporter, éviter ou faire avec.
Silence
Pourquoi les femmes ne parlent-elles pas ? Pourquoi ne portent-elles pas plainte pour harcèlement sexuel ? Des centaines d’ouvrages décrivent les mécanismes qui conduisent les femmes à «s’adapter» à la situation plutôt qu’à la dénoncer. Mais s’il est un exemple qui illustre à quel point il est logique qu’elles ne parlent pas, c’est sans doute cette tribune des femmes journalistes parue dans Libération le 5 mai 2015. Ces femmes ne citaient pas de noms, mais disaient les choses. Elles ont mis, courageusement, dans le débat public, cette question des rapports hommes-femmes, du sexisme en politique, et de ces quelques cas d’hommes politiques qui expriment par leur comportement et d’une manière particulièrement infâme la domination masculine. Il y eut moult articles et commentaires sur cette tribune, nombreux ont été les éditorialistes et les commentateurs de tous poils qui s’y sont collés et puis… rien. Ou si peu.
Cette tribune disait : «Ils sont issus de toutes les familles politiques sans exception, naviguent à tous les niveaux du pouvoir et n’ont droit à aucune impunité.» Normalement. Dans la réalité pourtant c’est l’impunité qui prime. Quelles suites ont été données par les partis politiques à cette tribune ? Quelles mesures ont été prises ? Quels contacts ont été noués pour tenter de connaître l’identité des personnes ciblées et remédier à ces comportements ? La réponse est aucune ou pratiquement ; des frémissements bien insuffisants.
Le silence des politiques révèle avec force l’impunité, l’absence trop souvent de mesures internes dans les partis et, au-delà, la difficulté même de reconnaître que cela existe – même si mezzo vocce c’est connu de tous.
Alors nous voudrions juste dire ici merci.
Merci à celles qui ont eu le courage de briser la loi du silence et de mettre, avec encore plus de force dans le débat public, la réalité de ces comportements. Parce qu’il n’y a manifestement qu’en dénonçant publiquement les personnes que les choses sont susceptibles d’avancer. Rares en effet sont les plaintes déposées. Et lorsqu’elles le sont, elles donnent rarement suite à des poursuites judiciaires. Les «transactions financières» sont souvent la voie privilégiée de gestion de l’agression en lieu et place d’un véritable procès.
Microcosme
Quand il ne s’agit «que» de harcèlement l’omerta se construit collectivement, d’un «ah oui, encore ! Il est coutumier du fait» au «mais il est tellement bon sur tel ou tel sujet», ou encore «mais si tu parles tu seras discréditée et tu donneras une mauvaise image du parti». La difficulté des femmes à parler de ce type de violences est générale, mais sans doute amplifiée dans le microcosme politique, où elles doivent plus qu’ailleurs ne jamais paraître faibles, incarner une posture inverse à celle d’une victime. Derrière ces silences, il y a toujours la peur d’être celle par qui les problèmes arrivent, jugée, mise au ban et finalement politiquement discréditée.
Pour que ce soit le comportement des hommes qui change et non celui des femmes qui s’adapte, pour que les choses bougent enfin et que l’impunité cesse, pour que la culpabilité change de camp, il faut parler. Cette parole, ces paroles doivent enfin devenir un sujet politique et sortir de l’interpersonnel, car c’est profondément de cela dont il s’agit.
Pour toutes ces raisons, nous soutenons, remercions et encourageons les femmes qui ont parlé : elles ont rendu un grand service à notre démocratie. Et pour que cela ne reste pas une fois de plus lettre morte, il va falloir que les partis politiques osent prendre ce sujet à bras-le-corps.
A signer sur le site Change.org
Le collectif Levons l’omerta rassemble des militant(e)s, des responsables associatifs et des politiques de tous bords.