Les nouveaux indicateurs du progrès sont là, utilisons-les !, Le Monde

Grâce à la loi sur les nouveaux indicateurs de richesse, votée en avril 2015, la France réintègre le peloton de tête des pays en pointe sur les indicateurs complémentaires au produit intérieur brut (PIB). Après la commission Stiglitz de 2009, et alors que plusieurs de nos voisins européens s’étaient dotés de nouveaux indicateurs (la Belgique et le Royaume-Uni en particulier), ce thème avait déserté les débats politiques français.

La nouvelle loi change la donne, en imposant que les principales mesures de la loi de finances soient évaluées à l’aune d’indicateurs sociaux et environnementaux. Cette évaluation fait l’objet d’un rapport annuel du gouvernement soumis au Parlement. Simple exercice de style ou changement radical de la vie politique française ?

Avant de voir sous quelles conditions cette nouvelle loi peut réellement changer la donne, soulignons que l’adoption de nouveaux indicateurs est une nécessité. La France traverse en effet des crises multiples : au-delà des mauvais chiffres de la croissance qui continuent de faire l’actualité, les inégalités s’accroissent, tout comme la pression sur notre environnement ou la défiance envers nos élus.

La boussole du PIB ne permet pas à elle seule de rendre compte de ce qui est important, pas plus que le taux de chômage ou celui de la dette publique, alors que leur poids dans le débat public est important. Si ces indicateurs économiques sont essentiels au pilotage de l’action publique, ils deviennent contreproductifs quand ils s’emparent à eux seuls du monopole des objectifs politiques légitimes.

Un nombre élevé d’indicateurs

Le vote de la loi sur les indicateurs a ouvert une pièce en deux actes.

Dans l’acte I, France Stratégie – l’ancien Commissariat au Plan – et le Conseil économique, social et environnemental (CESE) ont mené une consultation qui a débouché sur dix indicateurs : le taux d’emploi, le patrimoine productif, la dette publique et privée, l’espérance de vie en bonne santé, le bien-être subjectif, les inégalités de revenu, la part des diplômés du supérieur, l’empreinte carbone, l’abondance des oiseaux et le taux de recyclage des déchets.

Le processus de sélection de ces indicateurs a été vivement critiqué pour son manque d’ouverture, notamment par les représentants du Forum pour d’autres indicateurs de richesse (FAIR). A titre de comparaison, la consultation avec le grand public a duré six mois au Royaume-Uni ; en France, quelques semaines seulement.

Certaines voix ont également souligné que des dimensions importantes du bien être individuel et collectif ne font pas partie de la liste. A l’inverse, on peut également regretter (c’est notre cas) le nombre élevé d’indicateurs choisis, 10 en France contre 5 en Belgique, ce qui réduit leur capacité à être appréhendés et à concurrencer la portée symbolique du PIB.

Ce tableau de bord a néanmoins le mérite d’exister, et pour imparfait qu’il soit, il contient des indicateurs qui ont fait consensus, comme les inégalités de revenu ou les émissions de CO2 liées à la consommation des Français. Le risque n’est pas tant que ces indicateurs soient introduits dans le débat public, mais plutôt qu’ils soient enterrés, à l’image des cinquante indicateurs de la « stratégie pour le développement durable » du ministère de l’écologie, dont peu de responsables politiques ou de citoyens connaissent l’existence.

Mécanisme d’alerte

Comment éviter un tel sort aux nouveaux indicateurs ? C’est tout l’enjeu de l’acte II de la loi, qui devait débuter ces jours-ci avec la sortie du premier rapport du gouvernement.

Tout d’abord, à quelques mois de la conférence Climat de Paris, l’exécutif, et le premier ministre en tête, doivent s’emparer du sujet en publicisant et en commentant publiquement ce rapport, mais aussi – et surtout – en en tirant les conséquences en termes de priorités politiques. Les indicateurs doivent en effet servir de mécanisme d’alerte sur l’état de notre société.

Il nous paraît aussi essentiel d’organiser un débat parlementaire sur la base du rapport, afin d’éclairer les choix effectués dans le cadre du projet de loi de finances et de familiariser les députés avec ces indicateurs. C’est ainsi qu’ils acquerront un rôle politique réel.

Par ailleurs, le tableau de bord d’indicateurs gagnerait à être discuté avec le plus grand nombre. Si dans l’acte 1 de la loi les consultations ont été limitées, l’année prochaine pourrait être l’occasion d’un véritable débat citoyen, visant à mettre certains indicateurs en exergue voire à en définir d’autres. Ce débat contribuerait à une meilleure légitimation et appropriation de ces indicateurs, qui ne peuvent être uniquement perçus comme de nouveaux instruments dans la boîte à outil des gouvernants : ils sont aussi de puissants symboles, porteurs d’une nouvelle conception de la prospérité individuelle et collective.

Les nouvelles mesures du progrès sont là – ou presque : il faut désormais apprendre à s’en servir.

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