Le langage crypté des indicateurs
En abordant le débat budgétaire, les parlementaires vont cette année, pour la première fois, s’éclairer d’une précieuse lanterne : une batterie d’« indicateurs de qualité de vie et de développement durable », qui devrait leur servir à mieux discerner les priorités de l’action publique. Cette heureuse innovation, née d’une loi votée en avril dernier sur l’initiative de la députée écologiste Eva Sas, pourrait mettre fin à la prééminence du PIB comme instrument de mesure des « progrès » du pays.
Il est vrai que ce fameux PIB, entré dans le vocabulaire courant, a mal vieilli. Son âge d’or a été la période des Trente Glorieuses, où croissance économique et croissance du bien-être étaient à peu près synonymes, dans une société française bien moins inégalitaire qu’aujourd’hui. On s’avise maintenant de ses lacunes, mais parce qu’il reste, faute de rival, l’indicateur roi, son inéluctable ralentissement entretient un climat de pessimisme et de perte de confiance dans l’avenir. Nous avons donc besoin de nouvelles balises statistiques. La discussion ne fait que commencer, et elle promet d’être chaude. France Stratégie, l’organisme de réflexion placé auprès du Premier ministre, a déterminé dix thèmes – emploi, santé, climat, qualité de vie, inégalités… – et suggéré les séries chiffrées qui pourraient servir à évaluer les progrès accomplis dans chaque domaine. Fort bien, mais on perçoit d’emblée que certains objectifs vont entrer en conflit – par exemple la réduction des inégalités avec le dynamisme entrepreneurial, créateur d’emplois – et que, même sur des objectifs largement consensuels, comme l’efficacité du système éducatif, l’instrument de mesure choisi peut recouvrir une option idéologique : l’accroissement de la part des diplômés du supérieur dans la population n’implique pas les mêmes politiques que la diminution du nombre des « décrocheurs » qui quittent l’école sans aucun diplôme. Bref, il sera difficile de construire des indicateurs à la fois simples – condition nécessaire pour qu’ils aient un impact dans l’opinion – et politiquement neutres. Mais la discussion sur leur choix pourrait au moins, mieux que les vaines querelles à propos du « déclin » français, nous éclairer sur nos accords et désaccords dans la conception de la « bonne société ».