La reprise annoncée ne lève pas les doutes sur la stratégie de l’exécutif
LE MONDE | |Par Patrick Roger
L’inattendu rebond de la croissance au deuxième trimestre (+ 0,5 %) a – temporairement – fait taire la polémique naissante qui voulait opposer les optimistes et les réalistes. A l’instar du président de la République, les optimistes misent sur l’effet psychologique et veulent croire que « la reprise économique est là ». L’opposition avait raillé la « méthode Coué » et les « formules incantatoires » du pouvoir.
Les réalistes, eux, ne se berceraient guère d’illusions. Comme l’avait indiqué le ministre de l’économie, Pierre Moscovici, dans un entretien publié samedi 10 août par Corse-Matin, « cette année, la croissance sera faible, voire étale, entre moins 0,1 % et plus 0,1 % ». Le ministre allait même jusqu’à envisager « de nouvelles prévisions de croissance le 25 septembre, à l’occasion du projet de loi de finances » pour 2014.
Dans sa loi de programmation des finances publiques 2013-2017, le gouvernement table sur une croissance de 0,1 % en 2013, de 1,2 % en 2014 et de 2 % les trois années suivantes. Avec la hausse de 0,5 % enregistrée au deuxième trimestre, l’acquis de croissance annuelle à mi-parcours de 2013 est d’ores et déjà de 0,1 %. Il faudrait dès lors une brusque rechute au second semestre pour ne pas conserver cet acquis positif.
« NOTRE POLITIQUE COMMENCE À PORTER SES FRUITS »
Le ministre délégué chargé du budget, Bernard Cazeneuve, renvoie la balle aux sceptiques. « On nous a expliqué que nos hypothèses de croissance n’étaient pas sincères. Elles sont aujourd’hui vérifiées. Rien ne justifie qu’elles soient remises en question, commente le ministre, interrogé parLe Monde. Nous sentons que notre politique commence à porter ses fruits. Nous n’allons pas changer de stratégie, à la fois volontariste et déterminée. »
M. Cazeneuve reste toutefois prudent sur les résultats de 2013, qu’il qualifie d’« année transitoire ». « Est-ce que la croissance est définitive ? Non, on ne peut pas tirer une telle conclusion de ces chiffres », tempère le ministre, qui assure vouloir « limiter le recours à l’impôt » dans la prochaine loi de finances. « Les décisions fiscales que nous prendrons ne doivent pas freiner le retour à la croissance », plaide-t-il.
Tout en admettant que « ce chiffre de 0,5 %, à ce stade, est une nouvelle plutôt bonne », le président de l’UMP, Jean-François Copé, se refuse à le porter au crédit du gouvernement. « La marque de fabrique de ce gouvernement, c’est l’effet d’affichage », vilipende-t-il. Il compare la trajectoire de l’économie française avec celle de ses partenaires européens, et notamment l’Allemagne, avec qui « l’écart continue de se creuser ».
« ABSENCE DE STRATÉGIE ÉCONOMIQUE »
L’ancien ministre du budget, de 2004 à 2007, dénonce l’« absence de stratégie économique » du pouvoir. « Cela devient préoccupant du point de vue de la crédibilité, estime M. Copé, joint par Le Monde. L’indicateur qui m’inquiète le plus, c’est la persistance du déficit du commerce extérieur. »Pour le président de l’UMP, « le seul salut viendra de notre capacité à encourager la production, ce qui exige d’alléger toutes les contraintes ».
A gauche, ce chiffre de croissance reçoit un accueil mesuré. « On ne peut pas le négliger mais ce rebond de la croissance ne repose pas sur des fondamentaux solides », estime Eva Sas, députée (EELV) de l’Essonne, qui y voit « d’abord un mouvement européen ». « Le rôle de la politique gouvernementale reste à prouver, poursuit-elle. Les écologistes ne se réjouissent pas du retour de la croissance en tant que telle. Ils se réjouiront du retour de l’emploi. »
Porte-parole du PCF, Olivier Dartigolles invite à se garder de tout« angélisme » et constate que, « sur le front de l’emploi, la situation reste préoccupante ». Pour Henri Emmanuelli, député (PS) des Landes, « ce chiffre est bon à prendre mais reste insuffisant ». « On a un vrai problème d’investissement, y compris d’investissement public. Il n’y a pas de manne forte« , s’inquiète le président du conseil de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, qui redoute « une rétractation de l’initiative ».
Le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, balaie la querelle des optimistes et des réalistes. « Je suis un optimiste réaliste, confie-t-il dans un bel exercice de synthèse. Je crois à la cohérence de ce que nous avons engagé. Si nous-mêmes ne croyons pas à ce que nous disons, rien ne se fera. »