La fiscalité écologique, un beau projet pour la France
(Intervention le 24 Janvier dans le cadre du débat parlementaire sur la fiscalité écologique)
Madame la présidente, Madame la ministre, Chers collègues,
Nous ouvrons donc aujourd’hui le débat sur la fiscalité écologique, dans la continuité de la conférence environnementale.
Je voudrais rappeler ici en quelques mots les enjeux qui sont devant nous et les lignes directrices qui doivent être les nôtres.
La fiscalité écologique n’est ni un gadget, ni une mesure de rendement. Elle est un outil au service de l’évolution de nos modes de vie, pour préparer notre économie à un monde où les ressources seront rares, et où nous devrons limiter nécessairement notre impact sur le climat et sur la biodiversité.
Si je devais résumer en 4 mots, les principes de cette réforme, je dirais :
Ambition
Cohérence
Constance
Et Justice
Ambition d’abord.
Nous devons agir maintenant et nous devons agir avec force. Parce que notre responsabilité est grande, et parce que nous avons pris un retard considérable sur nos voisins européens.
Oui notre responsabilité est importante. Responsabilité environnementale, d’abord. Les conséquences de notre mode de vie fondé sur une utilisation sans limite des ressources sont d’ores et déjà visibles. Les évènements climatiques sont de plus en plus violents, et de plus en plus fréquents Si nous ne changeons rien, vous le savez, une augmentation de la température moyenne de 4° à 6°C d’ici 2100 est probable. Ce qui se traduirait par une augmentation d’environ 1 M du niveau des océans.
Responsabilité économique aussi. Notre modèle économique et social fondé sur une énergie bon marché s’épuise déjà. Le baril est aujourd’hui à 112 $ et l’agence américaine de l’energie prévoit un baril à 145 $ en 2035. Notre devoir est de préparer dès aujourd’hui notre économie à ce nouveau contexte.
Nous devons agir maintenant et nous devons agir avec force, parce que nous avons accumulé un retard conséquent en matière de fiscalité écologique. Vous le savez Mme la ministre, nous sommes classés 26ème sur les 27 pays européens, en la matière. Ce classement ne nous fait pas honneur et reflète les atermoiements constants du gouvernement de Nicolas Sarkozy en la matière. Alors que les revenus de la fiscalité écologique représentent 2,4% du PIB en moyenne dans les pays européens et qu’en Allemagne, si souvent érigé en modèle, elle représente 2,2% du PIB, cette fiscalité écologique ne représente, en France, que moins d’1,9% du PIB. Vous le savez, en Allemagne, Gerard Schroder a impulsé une réforme fiscale écologique ambitieuse il y a plus de 12 ans, d’abord par une augmentation des taxes sur l’energie, puis en 2005, l’effort a été poursuivi par la mise en place de la taxe poids lourd. Vous le savez sans doute aussi, c’est plus de 250 000 emplois qui ont été créés en Allemagne de ce fait, dans les energies renouvelables et les économies d’énergie.
Nous avons du retard et si nous souhaitons simplement rattraper la moyenne européenne, c’est environ 20 milliards de recettes fiscales supplémentaires que nous devons dégager. C’est le chemin que nous devons parcourir, l’objectif que nous devons nous fixer pour que nous puissions trouver notre rang en Europe sur la question.
Nous avons besoin d’une réforme fiscale ambitieuse qui doit toucher au moins 4 domaines. Le premier c’est celui de la fiscalité Climat Energie, qui est pour nous incontournable. Nous l’avons dit, nous devons encourager fiscalement les économies d’energie pour préparer la France à l’après-pétrole. Nous ne sous-estimons pas les obstacles à sa mise en place. Nous aussi, nous tirons la leçon des deux échecs de la taxe Carbone. Mais la leçon que nous en tirons, ce n’est pas et ce ne peut pas être le renoncement. C’est la nécessité d’une réforme claire, lisible, progressive, et juste, permettant prioritairement aux acteurs économiques de pouvoir anticiper l’augmentation du prix de l’energie, pour securiser le rendement des investissements en économie d’energie. Une réforme accompagnant l’adaptation des plus modestes, et compensant socialement l’impact de la mesure.
Vous me direz que les taxes sur les carburants sont déjà élevées, que cela grève la compétitivité, que cela sera difficile pour les menages. Et pourtant, c’est encore une idée reçue. Selon la Cour des Comptes, la fiscalité energétique est bien plus elevée en Allemagne. Le produit de l’impôt sur l’énergie allemand y est en effet de 39.4 milliards, alors qu’en France il n’est que de 23.8 milliards !
La fiscalité Climat Energie c’est nécessaire, et c’est donc possible.
Cette réforme doit porter sur l’énergie, mais elle doit aussi porter sur la santé environnementale. 24 millions de personnes sont aujourd’hui atteintes de maladie chronique : cancers, diabète, maladies cardio vasculaires. Le nombre de cancers a augmenté de 63% en 20 ans et 35% est du à nos modes de consommation.L’augmentation des maladies chroniques explique à elle seule le déficit de la sécurité sociale. Nous ne pouvons rester sans rien faire. Il faut donc dès maintenant taxer les produits dont on connaît l’impact négatif sur la santé, comme l’huile de palme et l’aspartame, pour en décourager l’utilisation.
Enfin les deux grands autres secteurs sur lesquels nous pensons qu’il faut légiférer, c’est la biodiversité – en instaurant une redevance assise sur la destruction des services écologiques et la rupture des continuités écologiques. Et ce sont les transports polluants, et je pense notamment à une extension et à une augmentation de l’ecotaxe poids lourds, comme le préconise par exemple France Nature Environnement.
Ambition, donc, mais aussi Cohérence. Et la cohérence, nous vous l’avons dit, c’est d’arrêter de subventionner d’une main les secteurs nocifs à l’environnement à travers de nombreuses, couteuses et inefficaces niches fiscales, quand de l’autre nous instaurons une fiscalité environnementale! Notre réforme doit se fixer une ligne directrice claire, faire en sorte que notre système fiscal taxe les comportements polluants et encourage les comportements vertueux.
Selon un rapport de la Cour des Comptes, ce sont près de 20 milliards d’euros – répartis dans 26 niches identifiées – que l’Etat dépense chaque année pour subventionner des comportements nuisibles à l’environnement !
Je ne citerais ici que l’exonération sur le kérosène. Comment expliquerez vous à nos concitoyens qu’ils doivent acquitter une contribution climat energie, alors que le mode de transport le plus émetteur de gaz à effet de serre et qui est majoritairement utilisé par des classes aisées, en serait exonéré ?
On pourrait citer aussi ici la défiscalisation de la consommation de produits pétroliers dans les raffineries, ou encore les exonérations sur le gazole. Vous nous direz, chaque fois, que des emplois sont menacés. Nous aussi, nous sommes soucieux des réalités économiques, nous nous sommes demandés :les exonérations de TICPE sont-elles efficaces pour sauvegarder nos emplois ? C’est le rapport du comité d’évaluation de l’Inspection générale des finances qui nous donne la réponse : elles ont une incidence, je cite, « vraisemblablement peu significative » sur l’emploi. Ainsi, les exonérations de TICPE au profit des vols intérieurs permettraient de sauvegarder 950 emplois et celle au profit du transport routier 800 emplois, soit un coût par emploi pour cette 2e exonération de l’ordre de 412 000 euros. Ce qui est, vous en conviendrez, exorbitant. Combien d’emplois d’avenir pourrions nous financer avec ces mêmes sommes ?
De la cohérence également sur les mesures fiscales que nous mettons en oeuvre : comment comprendrait-on qu’on puisse d’un côté lancer une reforme fiscale écologique, et de l’autre pénaliser les secteurs qui sont au cœur de la transition écologique. Nous vous l’avons dit : l’augmentation du taux de TVA de 7 à 10 % sur les secteurs de la rénovation thermique, des transports collectifs, du recyclage des déchets, est en contradiction avec notre ambition commune de « faire de la France, la nation de l’excellence environnementale ».
Ambition, cohérence, je parlerai aussi de la constance.
La Constance, c’est la condition du changement. Comme le disait Guillaume Sainteny, nous n’attendons pas le Grand Soir Vert, nous attendons une réforme sur la mandature, progressive et constante, qui donne aux acteurs les moyens de s’adapter avant de les taxer. Car la fiscalité écologique ne doit pas être une fiscalité punitive, elle doit rester une fiscalité incitative. Elle n’est légitime que si nous nous donnons le temps et les moyens d’offrir des alternatives : je pense notamment aux travaux d’économie d’energie, et aux transports collectifs. Pour cela, c’est une réforme ambitieuse, stabilisée et progressive sur 4 ans dont nous avons besoin.
J’ai dit ambition, cohérence, et constance. Et je finirai par le mot Justice. Nous devons d’ores et déjà penser la redistribution de ces recettes. Si une partie viendra compenser le Crédit d’Impot Compétiivité, et nous le souhaitons, se substituer, au moins en partie à l’augmentation du taux de TVA intermédiaire, ces recettes doivent aussi garantir la justice dans la mise en œuvre de cette fiscalité. D’une part en financant l’accompagnement et les alternatives : je pense notamment a la rénovation thermique et aux transports collectifs. Et d’autre part, en assurant la compensation sociale de cette fiscalité, notamment pour les ménages les plus modestes, qui sont souvent ceux qui habitent le plus loin de leur emploi, dont le logement est le plus mal isolé, et qui ont le moins les moyens de s’adapter.
Voilà madame la Ministre, les premières pistes sur lesquelles nous souhaitions échanger avec vous aujourd’hui.
Nous défendons depuis longtemps une fiscalité écologique, et nous savons que vous allez rencontrer beaucoup de gens qui vous donneront toutes les raisons du monde de ne pas faire. Nous, nous savons qu’il faut faire, que cela est nécessaire, que cela est souhaitable, et que c’est un beau projet pour la France.
Bonsoir Mme la Députée,
Dans votre discours, j’ai relevé votre proposition d’instaurer une redevance pour les ruptures de la continuité écologique. Je vous apporterai ici un point de vue limité à la continuité écologique des cours d’eau. Dans mon département, nous héritons près de 400 barrages en cours d’eau, la plupart (très) anciens, construits à une époque où la force hydraulique alimentait autant de moulins. Quelques autres barrages ont été construits plus récemment, ou réhaussés en vue d’une production hydro-électrique. Ainsi aujourd’hui, moins d’une dizaine de ces barrages produisent de l’électricité (plus de 95 % provenant de 3 barrages EDF). Pour autant, tous les autres barrages ont un impact considérable puisqu’ils n’ont, à quelques exceptions près, jamais été équipés de passes à poissons, malgré des obligations réglementaires anciennes pour les plus impactants. Aujourd’hui, l’agence de l’eau finance à un taux significatif les « normalisations réglementaires », ce taux étant abondé par le conseil régional. Outre que ce financement permettra souvent, hélas, de maintenir des ouvrages sans usage économique par des solutions couteuses et qui ne permettent pas réellement d’améliorer la continuité écologique, ce financement par l’impôt et par la redevance sur les consommateurs d’eau (90 % des recettes de l’agence de l’eau) est regrettable puisqu’il consacre le destructeur – non payeur. Une redevance forte sur les ouvrages responsables de la discontinuité écologique, qui serait la seule recette des agences de l’eau pour financer l’amélioration de la continuité serait une solution juste. Et plus encore si son usage était sévèrement encadré par les objectifs à atteindre.