Intervention « Quel avenir pour le financement des infrastructures ferroviaires ? »
Intervention aux rencontres des élus régionaux EELV / Eva Sas – Députée EELV, membre de la commission Mobilité21 et de la mission Ecotaxe actuellement en cours
Bonjour,
Je voudrais repréciser en introduction pourquoi nous avons besoin de financements supplémentaires pour le ferroviaire, et plus largement pour la modalité durable. Et nous verrons dans un second temps, si nous pouvons être optimistes, ou pas, sur l’évolution de ces financements.
Alors première question, pourquoi avons-nous besoin de financements supplémentaires pour les infrastructures ferroviaires ?
Il faut rappeler une chose, qui est pour nous, écologistes, une évidence, mais dont on ne mesure pas toujours l’ampleur, c’est la domination encore absolue de la route sur le transport en France :
– 88 % des marchandises sont encore transportées par camion en France,
– la voiture reste le premier mode de déplacement des Français : la part des déplacements en transports collectifs dans les trajets domicile-travail n’est toujours que de 16 % (33% en Ile-de-France) et elle est, pour les trois quarts, le fait des enfants, des étudiants, des chômeurs et des personnes âgées. 60 % des trajets domicile-travail sont toujours effectués en voiture.
Et de ce fait, le transport est un secteur très fortement émetteur de gaz à effet de serre, puisqu’il est responsable de plus du tiers des émissions de CO2.
Les françaises et les français sont néanmoins prêts à changer leurs habitudes, mais à une condition : leur offrir des solutions alternatives correctes.
Il faut donc financer de nouvelles infrastructures, mais il faut aussi tout simplement d’abord entretenir le réseau actuel.
L’audit de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne en 2012 sur l’état du réseau ferroviaire français a largement confirmé que le réseau ferroviaire français était aujourd’hui dans un état inquiétant. Alors certes le budget consacré à l’entretien a été doublé entre 2005 et 2012, pour atteindre aujourd’hui 1,7 milliards d’euros, mais cela a simplement permis de ralentir le vieillissement de l’infrastructure, mais pas de la stopper. Et cela, Jacques Rapoport, le président de RFF, l’a confirmé en audition à l’Assemblée Nationale.
Il faut donc plus de moyens pour l’entretien, et plus de moyens pour les nouvelles infrastructures, pour offrir une alternative au tout-voiture.
A partir de là, la question est: peut-on espérer un renforcement des moyens sur la période 2014-2020 ?
Cela nous conduit à trois sous-questions :
- Quelle va être l’évolution des moyens de l’Etat consacrés aux transports en général?
- A l’intérieur de ce budget, quel va être la part consacrée à la mobilité durable ?
- La reforme ferroviaire peut-elle contribuer au renforcement de ces moyens ?
En premier lieu, il faut souligner que l’évolution des moyens de l’Etat consacrés aux transports est très incertaine, et en particulier que le budget de l’AFITF est extrêmement fragilisé par la suspension de l’écotaxe poids lourd.
Comme vous le savez, les moyens de l’Etat consacrés aux transports sont essentiellement concentrés au sein de l’AFITF (Agence de financement des Infrastructures de Transport) qui finance l’entretien et les nouveaux projets ferroviaires, fluviaux, maritimes et portuaires, mais aussi bien sûr routiers, ainsi que les transports collectifs du quotidien notamment au travers des CPER.
L’agence a commencé à fonctionner en 2005, et a reçu, par la suite, une dotation initiale de l’État de 4 milliards d’euros issue du produit de la privatisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes. D’autres ressources pérennes lui ont ensuite été affectées :
– La redevance domaniale versée par les sociétés autoroutières (195 millions d’euros en 2012)
– La taxe d’aménagement du territoire prélevée sur les concessionnaires d’autoroutes (555 millions d’euros en 2012) ;
– Une partie du produit des amendes du dispositif de contrôle et de sanction automatisés des infractions au code de la route (168 millions d’euros en 2012).
Toutefois, la dotation initiale a été consommée fin 2008 et depuis lors, le budget de l’AFITF n’est plus équilibré.
Mais ce qui doit nous inquiéter aujourd’hui, ce sont surtout les conséquences de la « suspension » de la taxe poids lourd. En effet, le Gouvernement a diminué la subvention à l’AFITF de 423 millions d’euros en 2013, et cette baisse devait être compensée par l’apport de recettes de la taxe poids-lourds dont le lancement était prévu initialement en juillet 2013. La pollu-taxe sur les poids-lourds devait rapporter, en année pleine, 760 millions d’euros nets. En 2014, la subvention à l’AFITF a encore diminué de 50 %. On est donc passé d’une subvention de 1,123 milliard en 2012, à 334 millions d’euros au budget 2014. Or l’écotaxe a été suspendue. Comment l’Etat compensera le manque à gagner sur le budget des transports, et plus précisément sur celui de l’AFITF ? Nous avons posé plusieurs fois la question. Elle est restée sans réponse. Ce qui nous conduit nécessairement à nous demander si des projets seront remis en cause, et si oui lesquels ? Mais Philippe Duron, président de l’AFITF pourra sans doute répondre à ces questions.
Ce qui nous mène à la 2ème question : a l’intérieur de ce budget déjà fragilisé, quelle sera la part consacrée à la mobilité durable, et notamment aux Contrats de projet Etat-Régions? La dotation annuelle était déjà insuffisante, puisque, comme nous l’avions dit au sein de la commission Mobilité21, dans le cas du ferroviaire hors Île-de-France, alors qu’ils auraient dû être en moyenne d’environ 260 M€/an pour respecter le calendrier des engagements de l’Etat au sein des CPER, les crédits apportés par l’AFITF n’ont été que de 215 M€/an, sur la période 2007-2013. Nous avions estimé nécessaire d’augmenter de 70 millions d’euros par an la dotation.
Or l’élaboration de la nouvelle génération de CPER 2014-2020 est en cours, ils sont annoncés, comme vous le savez, pour le mois de juin ou de juillet 2014. A ce jour, nous ne savons pas quels seront les moyens consacrés aux CPER à l’intérieur du budget de l’AFITF. Et au vu du contexte, on peut se poser la question de savoir si les crédits seront suffisants pour assurer ne serait-ce qu’un maintien des moyens consacrés aux CPER.
Le 3ème point à souligner, concernant le financement de la mobilité durable, c’est que la réforme ferroviaire en gestation n’est pas destinée à renforcer les moyens mais à réaliser des économies.
Il y a aujourd’hui tout un discours savamment entretenu autour de la dette ferroviaire, autour de la non-soutenabilité du modèle économique ferroviaire. Alors oui, il est vrai que RFF est déficitaire, et que sa dette atteint 33 milliards d’euros en 2013. Mais il faut rappeler que la subvention annuelle de l’Etat à RFF a diminué de 750 millions d’euros (en euros constants) entre 2008 et 2012, ce qui a largement contribué à alourdir la dette. Comme vous le savez, la dette de RFF n’est pas maastrichtienne, elle n’est donc pas comptabilisée dans le déficit et la dette des administrations publiques, par la Commission Européenne. De là à penser qu’il y a un transfert voulu d’un déficit de l’Etat, vers un déficit de RFF non comptabilisé au sens européen, il n’y a qu’un pas.
Une fois le déficit constaté, on engage une réforme ferroviaire qui a notamment pour but de diminuer les pertes de l’ensemble RFF/SNCF. L’objectif affiché par RFF est de réaliser 1,5 milliards d’économies sur deux axes : d’une part, les 500 millions d’euros de bénéfices annuels de la SNCF jusque là versés à l’Etat sous forme de dividende seraient de fait conservés par l’entité commune, et d’autre part, 1 milliard d’économies devraient être réalisés grâce à l’augmentation de la productivité liée à la fusion des entités. On le voit donc, la réforme ferroviaire ne permettra pas de dégager des moyens supplémentaires, elle est au contraire mise en œuvre dans une logique d’économies.
Pour contrecarrer cette tendance nationale à la baisse des crédits consacrés aux transports, nous avons tenté de faire adopter la création d’un versement transport régional (additionnel et interstitiel). Nous nous sommes malheureusement sur ce point, vu opposer une fin de non-recevoir par Bercy, qui se refuse à toute augmentation de la fiscalité locale quelle qu’elle soit. Il y a donc aussi malheureusement peu d’espoir de ce coté.
Donc pour résumer je dirais, que
– D’une part la visibilité est faible : nous ne savons pas aujourd’hui quels seront les moyens de l’Etat consacrés à la mobilité durable sur la fin de la mandature ;
– D’autre part, nous avons beaucoup de motifs d’inquiétude : concernant le budget de l’AFITF, concernant la part de ce budget consacré aux CPER et à la mobilité durable, au vu notamment du discours actuel développé autour de la nécessité d’entretenir et de moderniser le réseau routier.
– Enfin, nous ne pouvons pas attendre de moyens supplémentaires de la réforme ferroviaire qui est au contraire mise en œuvre pour réaliser des économies et non pour amplifier les moyens.
Un constat pessimiste, qu’on espère provisoire, qui montre que l’investissement dans les transports est aujourd’hui victime de choix politiques nationaux : austérité budgétaire, suspension de l’écotaxe poids lourd, absence de marges de manœuvre laissées aux régions en matière de fiscalité transports.