Eva Sas: « La vie politique est conçue par les hommes et pour les hommes », L’express
Eva Sas: « La vie politique est conçue par les hommes et pour les hommes »
Par Marie Caroline Missir, publié le
La député écologiste de l’Essonne accouche dans moins de quinze jours de son troisième enfant. Elle ne sera pas remplacée: la Constitution le lui interdit.
Eva Sas, député écologiste de l’Essonne, donnera naissance à son troisième enfant dans moins d’un mois. La jeune femme s’absentera quelques mois de l’hémicycle, mais ne sera pas remplacée. Au mois de juillet, elle avait défendu un amendement au projet de loi sur le non-cumul des mandats permettant aux femmes députées d’être remplacées par leur suppléant durant leur congé maternité. Un amendement rejeté, parce que non conforme à la Constitution.
Vous accouchez dans une quinzaine de jours. Comment allez-vous organiser votre vie politique dans les prochains mois?
Je me suis organisée pour avoir très peu d’activités dans les mois à venir. En tant que vice-présidente de la commission des finances, j’ai fait savoir que je serai absente jusqu’au 6 janvier. J’ai donné délégation de mon vote à mon groupe pendant toute cette période.
Vous avez défendu en juillet, dans le cadre de l’examen du projet de loi sur le non-cumul des mandats, un amendement prévoyant le remplacement des députées par leur suppléant durant leur congé maternité. Comment expliquez-vous qu’il ait été rejeté?
Un seul cas de remplacement temporaire d’un parlementaire est actuellement prévu par la Constitution. Quand un ou une député devient ministre, il peut alors être remplacé par son suppléant. Aucune disposition n’est prévue à ce stade pour les députées enceintes.
Comment expliquer que les femmes politiques ne bénéficient pas de ce droit?
Le règlement de nos institutions et la vie politique sont conçues par les hommes et pour les hommes. Notre Constitution date de 1958, à une époque où les femmes politiques étaient une exception. Les séances de nuit à l’Assemblée conviennent bien à un homme de 60 ans, cumulard et provincial. L’Assemblée compte depuis un an 25% de femmes, c’est donc un cas de figure qui est appelé à se représenter.
Le rejet de l’amendement que j’ai présenté est un signal très négatif envoyé aux femmes et à la société française. Mais je suis consciente qu’il s’agit d’un combat qui va durer plusieurs années.
Comment expliquez-vous qu’avant vous aucune femme députée ne se soit emparée de la question?
Les femmes politiques préféraient jusqu’ici gommer cet aspect de leur mandat, en minimisant la portée de leur maternité, plutôt que d’en faire un combat.
La ministre du droit des femmes Najat Vallaud Belkacem compte-t-elle remédier à cette situation?
Une réflexion est en cours au ministère du droit des femmes pour les élus locaux. J’ai adressé une question écrite à ce sujet à Najat Vallaud-Belkacem. Mais la possibilité pour un député d’être remplacée pendant son congé maternité, relève d’une réforme de la Constitution. La question n’est donc pas simple.
Avez-vous été soutenue par des femmes politiques, au-delà même de votre famille politique?
Non, je n’ai pas reçu de soutien parmi les femmes députés que compte l’UMP. En revanche, j’ai été soutenue par certains jeunes papas, comme Yann Galut (député PS du Cher).
On perçoit une forme de culpabilité dans vos propos. Vous vous excusez presque de vous arrêter…
Les électeurs nous ont fait confiance il y a seize mois. La génération à laquelle j’appartiens, celle de jeunes élus de gauche a le sentiment que nous avons cinq ans pour changer les choses. Nous ressentons une forte tension entre la volonté de remplir notre mandat, la culpabilité de laisser une chaise vide pendant quelques mois, et le souhait de ne pas jouer les Rachida Dati, en revenant à nos fonctions quelques jours après la naissance d’un bébé. Nos enfants ont droit à mieux.