Eva Sas crée le débat en proposant par amendement la « révolution fiscale » de Piketty
Retrouvez le débat en commission des finances du 9 octobre 2013.
Eva Sas présente l’amendement « révolution fiscale » proposant la fusion de l’Impôt sur le revenu et de la CSG :
Nous aurions pu intituler cet amendement d’appel « amendement réforme Piketty ». Conformément à l’engagement pris par le Président de la République, nous proposons de fusionner l’impôt sur le revenu et la CSG afin de rendre notre système fiscal plus lisible et plus juste, avec une imposition plus progressive et moins mitée par les niches fiscales. Il conviendrait pour cela, dans un premier temps, de supprimer l’impôt sur le revenu, trop mité pour pouvoir être réformé en l’état, puis de le basculer en totalité sur la CSG, dont l’assiette est plus large et plus juste, et enfin de rendre la CSG progressive. Ce serait de nature à restaurer la confiance dans notre système fiscal.
M. le rapporteur général. Les amendements d’appel sont toujours sympathiques et donnent toujours lieu à de longs débats. Pour autant, ce n’est ni M. Piketty, ni d’ailleurs le MEDEF, Les Échos ou la CFDT qui font la loi, mais les parlementaires et eux seuls. Substituer à l’impôt sur le revenu actuel une CSG réformée soulèverait de très nombreux problèmes. Le Gouvernement et la majorité, du moins certaines de ses composantes, sont disposés à réfléchir à leur rapprochement. Mais il faut rappeler que la CSG est perçue à la source sur les revenus, sans décalage, alors que l’impôt sur le revenu l’est avec un an de décalage ; que le taux de la CSG est identique pour tous, à l’exception de quelques rares taux réduits, alors que l’impôt sur le revenu est progressif ; enfin, que, contrairement à l’impôt sur le revenu, la CSG ne tient pas compte de la situation familiale.
Tout rapprochement entre CSG et impôt sur le revenu exigerait de lever plusieurs contraintes lourdes. Substituer à un impôt perçu avec un an de décalage un impôt prélevé immédiatement obligerait, l’année du basculement, à prévoir, soit une imposition double, soit une imposition nulle, sauf à étaler ce basculement sur plusieurs années – ce qui serait sans doute la solution choisie pour mettre en oeuvre cette réforme.
Mme Eva Sas. C’était un engagement du Président de la République.
M. le rapporteur général. Il demeure, mais c’est plutôt un objectif de deuxième partie de législature. Nous ne pouvons ainsi, au détour d’un amendement, modifier aussi radicalement notre système fiscal. Vous l’aurez compris, je suis défavorable à cet amendement.
M. Dominique Lefebvre. La vocation d’un amendement d’appel étant d’être soit retiré, soit rejeté, comme celui-ci ne sera vraisemblablement pas retiré, les commissaires socialistes voteront contre.
Toute réforme fiscale se heurte à des problèmes importants, qui se posent d’ailleurs à peu près dans les mêmes termes pour les entreprises et pour les ménages, les contraintes n’étant pas différentes. Dois-je rappeler l’extrême difficulté de mener une réforme fiscale à produit constant – nous aurons l’occasion d’y revenir à l’article 10 ? Chacun s’accordera à reconnaître qu’une réforme visant à établir une assiette large, peu susceptible d’optimisation, permettant à la fois d’instaurer de la progressivité et d’afficher des taux faibles, va dans le bon sens. Mais si cela se fait à produit constant, on redistribue. Les entreprises, comme l’ont fait savoir le MEDEF et l’AFEP, n’ont pas souhaité s’engager dans cette voie en 2014. Pour ce qui est des ménages, la progressivité de la CSG poserait également de redoutables problèmes politiques.
Pour le reste, compte tenu du rôle que j’ai joué auprès de Michel Rocard lors de l’instauration de la CSG, je suis toujours heureux qu’on en vante les mérites : assiette large, taux certes proportionnel mais il faut se souvenir qu’elle s’est substituée à des cotisations dégressives. Comme l’a souligné le rapporteur général, avant de basculer l’impôt sur le revenu sur la CSG, il faudrait régler le problème du prélèvement à la source et traiter la question, éminemment politique, de la familialisation de l’impôt. Une telle réforme, aussi bien pour les entreprises que pour les ménages, ne saurait être engagée que de façon progressive, dans la durée, et alors qu’on dispose de marges de manœuvre financières suffisantes.
Préparer le rapprochement des deux prélèvements suppose de continuer ce qui a été engagé depuis juin 2012, à savoir en finir avec le mitage de l’impôt sur le revenu. Il faut notamment supprimer les niches fiscales, dont chacune altère la progressivité de l’impôt. Or, je suis sûr, madame Sas, que lorsque nous en viendrons à l’article 4, l’unanimité se fera jour pour ne pas remettre en question certaine niche fiscale… Bref, ce n’est pas l’objectif que vous visez qui est critiquable, mais les moyens de l’atteindre.
M. Charles de Courson. L’engagement n° 14 du Président de la République est l’exemple même d’une idée folle quand on sait que l’assiette de la CSG est de 1 100 milliards d’euros contre 400 milliards pour l’impôt sur le revenu et que le produit de la première est de 90 milliards contre 55 milliards pour le second. Toutes les simulations montrent qu’une telle réforme occasionnerait des transferts considérables, pénalisant lourdement les familles car il sera impossible de familialiser la CSG.
M. Henri Emmanuelli et plusieurs autres commissaires du groupe SRC. Pas du tout !
M. le président Gilles Carrez. Même si elle ne pénalisait pas les familles, cette réforme provoquerait en tout état de cause des transferts massifs. Or aucune réforme fiscale entraînant des transferts n’est jamais bonne pour les gouvernements en place. En effet, ceux qui y gagnent se terrent et se taisent, tant d’ailleurs ils en sont parfois étonnés, tandis que ceux qui y perdent hurlent à la mort.
M. Charles de Courson. Ce sont les couches moyennes qui feraient les frais d’une telle réforme. Ne semez plus de telles idées folles !
M. Hervé Mariton. Cet amendement, qui reprend l’un des engagements extravagants du Président de la République, est cohérent avec la doctrine économique que défend M. Thomas Piketty. Reste à espérer que, d’ici à la fin du quinquennat, les conditions ne seront pas réunies pour qu’il soit mis en œuvre. Il aurait pour conséquence d’alourdir l’impôt de manière considérable pour les classes moyennes et les familles. M. Thomas Piketty l’assume d’ailleurs parfaitement, qui milite pour l’individualisation de l’impôt. Mais cela relève d’une vision totalement différente de la société.
Enfin, oui à la progressivité de l’impôt, mais jusqu’à un certain point seulement. Si des niches fiscales ont été créées, c’est aussi pour limiter l’extrême concentration et la très forte progressivité qui caractérisent aujourd’hui notre système fiscal. Sans doute est-on allé trop loin à cet égard et il était opportun de plafonner les niches. Mais la réforme proposée serait particulièrement néfaste. Elle est, hélas, cohérente avec la doctrine fiscale professée par certains de vos inspirateurs et avec certaines orientations fiscales qu’il est arrivé, non seulement aux élus Verts mais aussi socialistes, de défendre, et dont nous ne dirons jamais assez aux Français de se méfier.
M. Pascal Cherki. Le rapporteur général a raison, ce sont les parlementaires et eux seuls qui font la loi fiscale. Nous aurons l’occasion d’y revenir plus loin pour rappeler par exemple qu’il n’appartient pas aux « pigeons » de dicter le régime d’imposition des plus-values de cession de valeurs mobilières non plus qu’à l’AFEP de décréter que la taxation de l’excédent brut d’exploitation n’est pas opportune. Mais il faudrait être cohérent ! On ne peut, d’un côté, céder à certains lobbies, particulièrement bien armés sur le plan idéologique, et de l’autre, rejeter sans autre forme de procès certaines réformes progressistes, au motif que nul ne devrait inspirer les parlementaires pour faire la loi.
L’amendement de notre collègue a le mérite de rouvrir le débat, inachevé, sur la progressivité de l’impôt. Beaucoup a déjà été fait depuis le début de la législature avec le rabotage des niches et la création d’une tranche d’imposition à 45 %. Mais nous ne sommes pas allés assez loin. Monsieur le rapporteur général, monsieur le président et messieurs les membres du bureau de la commission, quelle méthodologie proposez-vous pour que les commissaires aux finances non seulement se saisissent de ce sujet mais soient en mesure de formuler rapidement des propositions alternatives ?
M. Laurent Baumel. Il ne faudrait pas laisser croire que tous les commissaires aux finances socialistes accueilleraient défavorablement l’amendement de nos collègues Mme Sas et M. Alauzet. Je fais partie de ceux qui pensent qu’il serait bon d’introduire une dose de progressivité dans le taux de CSG avant la toute fin du quinquennat. Avec un certain nombre de collègues, nous proposerons donc un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale qui rendrait la CSG progressive, sans avoir à la fusionner avec l’impôt sur le revenu. Cela paraît possible en évitant à la fois la censure du Conseil constitutionnel qui exige le maintien de la familialisation de l’impôt et les complications techniques qui pourraient résulter de l’obligation faite aux entreprises de collecter les données familiales de leurs salariés. Si le Parlement y tenait vraiment, il serait possible d’engager cette réforme sans retard. Ne la reportons pas indéfiniment au prétexte de difficultés techniques ou de problèmes d’inconstitutionnalité, tous arguments qui n’ont d’autre but que de dessaisir le Parlement de son droit d’initiative en matière fiscale.
M. Pierre-Alain Muet. Dans ce débat récurrent, mon point de vue est complètement opposé à celui de M. Mariton. J’ai toujours pensé que notre impôt sur le revenu était aberrant. Chez nos partenaires européens, il aboutit en moyenne à prélever 10 % des revenus contre 2,5 % chez nous, où il faut y ajouter la CSG – représentant 8 % du revenu – pour arriver au même taux, mais dans le cadre d’un dispositif mal construit, la CSG étant proportionnelle tandis que l’impôt sur le revenu, seul, est progressif.
En fusionnant ces deux impôts, nous nous rapprocherons de tous les autres pays européens, dont l’impôt est en général individualisé et où les charges familiales sont compensées, non par le quotient familial, mais par un crédit d’impôt ou par des abattements qui peuvent être proportionnels ou fixes.
Pour accomplir cette réforme essentielle, il y a deux méthodes : soit la « nuit du 4 août » que préconise M. Piketty, soit la démarche progressive que M. Didier Migaud recommandait dans un rapport parlementaire de 2008 et que j’ai décrite dans Un impôt citoyen pour une société plus juste. Je crois que la réforme est réalisable en quatre ou cinq ans. La difficulté principale tient à ce que la CSG est un impôt individualisé prélevé à la source tandis que l’impôt sur le revenu est prélevé ex post et familialisé. Pour la résoudre, la première étape consiste à supprimer des niches fiscales, ce que la gauche comme la droite ont commencé à faire, et de soumettre l’intégralité des revenus au barème, ce que nous avons fait l’an dernier.
Certes, comme le souligne le président Carrez, cette transition suppose que l’on soit dans une période de croissance afin que l’évolution des revenus apporte des compensations et des marges de manœuvre. Mais nous ne devons pas abandonner ce projet qui a un sens dans le quinquennat.
M. le président Gilles Carrez. Je vous remercie pour ce rappel objectif des termes du débat.
M. le rapporteur général. Je l’ai dit et je le répète : la loi doit se faire au Parlement. Diverses assises ont eu lieu, comme celles de l’environnement et de l’entrepreneuriat, d’autres suivront, comme celles de la fiscalité des entreprises. J’ai rappelé fermement à différents ministres que ces derniers travaux ne doivent pas se dérouler sans nous. Il est hors de question que la commission des Finances ne soit pas associée à ces échanges, par ailleurs tout à fait légitimes, entre toutes les forces vives du pays. Et notre travail doit être à la hauteur de ce que nous exigeons : qu’il s’agisse de la fiscalité des entreprises ou du rapprochement entre la CSG et l’impôt sur le revenu, il nous faut apporter nous aussi nos contributions – sous la forme, par exemple, de rapports d’information ou de rapports du rapporteur général.
La Commission rejette l’amendement.