Vous trouverez ci dessus la présentation du rapport de la proposition de loi organique (PPLO) visant l’intégration de nouveaux indicateurs de richesse dans les lois de financement. Cette PPLO a été présentée par Eva Sas, qui est également la rapporteur du texte.
Vous trouverez, par ailleurs, la proposition de loi à l’adresse suivante : http://www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion1628.asp
Mesdames et messieurs les commissaires,
Monsieur le Président, tout d’abord merci de m’accueillir parmi vous pour cette proposition de loi organique, sur les nouveaux indicateurs de richesse.
Cette proposition de loi vise à :
→ introduire une évaluation de l’ensemble des réformes présentées dans les principaux projets de loi à caractère financier au regard d’indicateurs de richesse alternatifs au produit intérieur brut (PIB).
→ afin de rendre compte de la qualité de vie et de la soutenabilité de notre modèle de croissance, entendue comme la capacité de notre pays à répondre aux besoins du présent sans compromettre les chances des générations futures.
- Alors pourquoi cette proposition de loi ?
En définitive pour évaluer notre politique économique et budgétaire à l’aune de ses véritables objectifs. L’objectif de notre politique économique et budgétaire est-il en soi la progression du PIB ? Non, il faut le rappeler, ce n’est qu’un objectif intermédiaire de nos véritables ambitions, que sont l’amélioration de l’emploi, et la qualité de vie de nos concitoyens, la soutenabilité de notre modèle de développement.
- Il ne s’agit pas de contester le PIB , qui est un indicateur de la richesse de notre pays essentiel, mais en quelque sorte de le désacraliser, et de le mettre à sa juste place.
Car les nombreux travaux menés montrent que le PIB, malgré son caractère prépondérant, présente deux limites importantes :
- D’une part il ne témoigne pas de l’évolution du bien-être de nos concitoyens,
- Et d’autre part, il ne prend pas en compte la soutenabilité des politiques menées, notamment en matière environnementale.
Les critiques relatives à la notion de PIB pour mesurer le bien-être et la soutenabilité ne sont pas nouvelles : développées dans les années 70 aux Etats-Unis (avec Nordhaus et Tobin), elles ont conduit les Nations-Unies et l’OCDE à travailler sur de nouveaux indicateurs de richesse : le plus connu est sans doute l’indice synthétique de développement humain, l’IDH, créé par le PNUD dans les années 90, mais il y en a beaucoup d’autres.
Les principales critiques du PIB, mises en exergue en France par Jean Gadrey, Florence Jany-Catrice, Patrick Viveret et Dominique Méda notamment, sont les suivantes :
– En valorisant les biens et services marchands au regard du prix de marché, le PIB ne rend pas compte de l’amélioration de la qualité des produits ou des services rendus ;
– Le PIB mesure les flux, et peut donc conduite à valoriser un accident ou des dégâts liés à une catastrophe naturelle en raison de la richesse créée par la reconstruction sans évaluer les aspects négatifs de ces évènements, comme le capital détruit ;
– Le PIB ne prend pas en compte la répartition des nouvelles richesses créées, et donc les inégalités : en France, en 2011, le niveau de vie médian est resté stable alors que le taux de pauvreté a augmenté et le niveau de vie des plus riches a progressé ;
– Enfin, le PIB est un indicateur de court terme qui ne prend pas en compte l’amélioration ou la dégradation du capital naturel, et l’épuisement des ressources, et donc ne mesure pas la soutenabilité de nos politiques.
- Depuis 2008, la France a engagé un grand débat pour améliorer les instruments de mesure de la richesse de notre pays, un débat qui, il faut le noter, a réuni un consensus au-delà des clivages partisans.
La commission sur la performance économique et du progrès social a été installée en 2008 par le président de la République. Elle était composée d’un large éventail de compétences allant de la comptabilité nationale à l’économie du changement climatique.
Présidée par M. Joseph E. Stiglitz, ses travaux furent éclairés par M. Amartya Sen et coordonnés par M. Jean-Paul Fitoussi.
Je vous renvoie pour le détail à mon rapport mais je souhaite insister sur le fait que les services nationaux de la statistique, l’INSEE et le service de l’observation, et des statistiques du commissariat général au développement durable (CGSS-SOeS), comme l’Association des régions de France, se sont saisis de ces propositions pour élaborer une batterie de nouveaux indicateurs depuis.
De son côté, le Gouvernement suit désormais plus d’une vingtaine de ces nouveaux indicateurs différents dans le cadre de la stratégie nationale pour le développement durable 2010-2013.
Une partie de ces indicateurs sont d’ailleurs commentés dans le rapport sur l’économie française, annexé au PLF chaque année, et repris dans l’annexe statistique du rapport économique, social et financier annexé au PLF. Les tableaux de bord d’indicateurs alternatifs existent donc déjà. L’objectif de cette proposition de loi n’est donc pas la production d’un nouveau tableau de bord, même si ceux proposés doivent être améliorés, mais bien la mise en visibilité de ces indicateurs alternatifs au même titre et au même niveau que le PIB. Et pour cette mise en visibilité il nous est apparu nécessaire
D’une part d’exposer l’évolution de ces indicateurs à un moment clé qu’est le budget et de le faire dans l’exposé des motifs du PLF de façon à analyser l’impact des différentes réformes proposées sur ces indicateurs. D’où le choix qui est fait de modifier la présentation de la loi de finances, et donc de déposer une PPL organique même si nous sommes conscients des contraintes que cela suppose.
D’autre part de proposer des indicateurs synthétiques, même si là aussi, nous connaissons les limites de ce type d’indicateurs. Nous souhaitons néanmoins insister sur le fait qu’un indicateur synthétique ne s’oppose pas à des tableaux de bord d’indicateurs multiples. Les deux étant nécessaires. Et que seuls les indicateurs synthétiques peuvent être des vecteurs de communication appropriés, équivalents au PIB. Pour exemple, faire apparaître que l’empreinte écologique d’un français est de 2,7 terres, C’est à dire excède de 2,7 fois la biocapacité par habitant de la terre, est un élément d’objectivation simple de l’épuisement des ressources produites par nos modes de vie.
La présente proposition de loi propose donc d’évaluer l’impact global des réformes prévues par les principaux textes financiers à l’aune de quatre indicateurs de richesse, entre autres : l’indice d’espérance de vie en bonne santé, l’indicateur de santé sociale, l’empreinte écologique et l’empreinte carbone.
Je ne reviendrai pas sur la définition de ces quatre indicateurs largement détaillée dans mon rapport.
Suite aux auditions menées par votre rapporteure avec les services de l’INSEE, de la direction générale du Trésor, ainsi qu’avec le cabinet du ministre de l’économie, il me semble que cette proposition de loi organique pourrait être améliorée sur différents points :
Pour des raisons de faisabilité et d’opportunité, l’INSEE a démontré à votre rapporteure qu’il serait plus pertinent d’instaurer une évaluation des principales réformes à l’aune d’indicateurs de qualité de vie et de développement durable, sans toutefois mentionner tel ou tel indicateur.
En effet, sur le plan technique, les outils statistiques de l’INSEE ne lui permettrait pas, à ce jour, d’évaluer de manière pertinente l’indice de santé sociale par exemple, car il s’agit d’un indicateur composite comprenant 14 indicateurs, dont certains ne sont plus mesurés ou sont mesurés à des périodicités très différentes.
Sur le plan de l’opportunité, l’INSEE a indiqué à votre rapporteure qu’une nouvelle commission était en cours d’installation pour définir les indicateurs les plus pertinents dans le cadre de la stratégie nationale de développement durable pour les années 2014 à 2020.
Nous estimons dès lors que s’il est fondamental de disposer d’indicateurs synthétiques, tels l’indice de santé sociale ou l’empreinte écologique, il pourrait être plus prudent de ne pas définir, a priori, dans une loi organique, les indicateurs de richesse à prendre en considération, car les travaux de recherche sont en constante évolution sur ce sujet.
Par ailleurs, les discussions menées avec l’INSEE et la direction générale du Trésor nous ont amené à considérer qu’il pourrait être utile de préciser qu’elle souhaite une analyse rétrospective de ces indicateurs sur le long terme (10 à 20 ans) et non sur trois ou quatre année seulement, comme le suggère le dernier alinéa de la proposition de loi organique.
Enfin, dès lors que le moment crucial pour apprécier et évaluer l’impact des réformes proposées à l’aune de ces nouveaux indicateurs est le budget, c’est-à-dire lors de la préparation du PLF et du PLFSS, nous avons estimé qu’il serait plus juste, du point de vue strictement juridique, de modifier en ce sens la LOLF – c’est-à-dire à la loi organique relative aux lois de finances – plutôt que la loi organique relative à la programmation et la gouvernance des finances publiques.
C’est la raison pour laquelle je vous présenterai plusieurs amendements à la suite de la discussion générale.