Six d’entre eux reviennent sur cette première année de mandat, entre satisfaction et frustrations, et l’ambition qu’ils mettent au service des Français.
Jusqu’au 17 juin 2012, Eva Sas n’avait « jamais été élue tout court ». Le mandat de députée de l’Essonne est le premier exercé par cette écologiste de 42 ans, entrée en politique sur le tard après avoir privilégié son métier dans un cabinet d’expertise économique. Comme elle, toute une nouvelle génération de gauche a profité de l’effet de l’élection présidentielle pour faire son entrée à l’Assemblée nationale, il y a un an. Des trentenaires ou des « quinquas », venus du privé ou, plus fréquemment, des appareils politiques, avec ou sans expérience d’un mandat exécutif local… À droite aussi, du sang neuf est venu compléter les rangs des « primo-députés », comme les surnomment leurs aînés.
Âgés de 33 ans et membres de l’UMP, Damien Abad et Virginie Duby-Muller comptent parmi les six plus jeunes membres de l’Assemblée nationale. En fait, ce sont de faux novices car ils maîtrisent parfaitement les codes parlementaires. Élu dans l’Ain, Damien Abad « connaissait les lieux » – l’hémicycle – après avoir travaillé pour le groupe UDF, puis celui du Nouveau Centre, avant de devenir député européen. Implantée en Haute-Savoie, Virginie Duby-Muller s’est glissée « rapidement dans le costume ». Installer « des relais et des équipes efficaces » n’a pas posé de problème à cette ancienne collaboratrice de trois députés durant dix ans.
« L’Assemblée nationale, c’est là où ça se passe »
Après avoir remporté une circonscription « très à droite » de Loire-Atlantique, Monique Rabin, 58 ans, a partagé ce sentiment de « retourner à la maison ». C’est là, au Palais-Bourbon, que cette socialiste avait « beaucoup appris d’Edmond Hervé », ancien maire de Rennes, auprès duquel elle a travaillé durant treize ans.
« L’Assemblée nationale, c’est là où ça se passe, mais c’est un combat de tous les jours pour obtenir des conditions de travail, une place dans l’hémicycle, dans le groupe politique, dans les commissions », a découvert Damien Abad.
Qu’il faille jouer des coudes pour finir de se faire une place, Thierry Braillard, 49 ans, en a aussi fait l’expérience. Élu à l’issue d’un duel fratricide contre l’écologiste Philippe Meirieu dans le Rhône, ce député radical de gauche est convaincu d’être « utile », à condition de « rapidement arriver à de bonnes relations avec les ministres » et de surmonter « le manque de lien et de liant avec les cabinets ministériels ».
« Un vrai travail de législateur qui ne se voit pas »
Une fois ce rodage effectué, « en commission, on mène un vrai travail de législateur qui ne se voit pas », poursuit Thierry Braillard, porteur d’un amendement sur « la morale laïque » dans le projet de loi sur la refondation de l’école. Vice-présidente de la prestigieuse commission des finances, Eva Sas acquiesce : « C’est le côté ingrat. Le travail parlementaire est très intense et parfois invisible.
La Ve République donne peu de poids au Parlement. » « On a parfois jusqu’à cinq réunions de commission, délégation ou groupe d’études en même temps. Et les sessions extraordinaires deviennent ordinaires », relève Virginie Duby-Muller. « D’ailleurs, quelque chose me frustre, reconnaît-elle. Il y a énormément de textes et on a peu de temps pour la réflexion, pour aller plus au fond de manière exhaustive. »
Se spécialiser pour « peser » au sein d’un groupe
Cette élue est en pointe sur les questions d’enseignement et de recherche. Comme elle, beaucoup de députés choisissent de se spécialiser pour « peser » au sein de leur groupe. « Notre génération est née avec la crise et n’a pas la même manière d’exercer le pouvoir. Il faut exister par soi-même, cibler des thématiques », explique Damien Abad, qui a défendu une proposition de loi sur le handicap et fait passer des amendements sur les frais bancaires. « C’est ça, le côté passionnant », insiste-t-il.
Orateur du groupe UDI de Jean-Louis Borloo dans les débats sur le mariage homosexuel, Jean-Christophe Fromantin, 50 ans, se félicite d’avoir fait ses premiers pas « sur l’un des textes les plus longs, les plus discutés, qui donne du sens à (son) engagement ». Maire de Neuilly-sur-Seine depuis 2008, il explique la « liberté de parole » qui a été la sienne par le fait de « détenir un exécutif local fort » qui lui permet de conserver « le filtre du bon sens ». Corrélativement, l’élu des Hauts-de-Seine regrette que « beaucoup de députés doivent leur présence à des systèmes de pouvoir et adoptent des postures dictées par des disciplines de groupe ».« Une grande partie de la défiance de l’opinion tient à cette prévalence des postures sur le fond, ou à l’absence de courage politique », estime-t-il.
Invectives, chahut et clivages
Du courage, il en faut pour affronter les invectives, le chahut au moment des questions au gouvernement et les clivages, comme ceux qui se sont manifestés lors des discussions sur le budget ou le mariage homosexuel. Malgré son expérience des lieux, Monique Rabin a été « surprise d’entrer dans (son) mandat de manière violente ». « Les débats politiques ne permettent pas la nuance. Or je suis une personne de nuance ! », regrette l’élue PS.
Placée sur la « montagne », le haut de l’hémicycle, lors des questions d’actualité les mardis et mercredis, elle confie « avoir mal à la peau » quand la tension monte entre gauche et droite, s’inquiétant d’une « volonté de déstabilisation de l’État ». « Je suis préoccupée par la déliquescence du lien social qui ne nous permet pas d’entraîner les gens dans un projet collectif, poursuit-elle. Et je n’arrive pas à mettre en cohérence mes mots-clés – fraternité, sobriété, mutations – avec la situation. Nous ne transformerons la société que si nous nous transformons nous-mêmes, si nous changeons nos logiciels », affirme la députée, proche du laboratoire d’idées Esprit Civique.
Déception, désillusion et résignation
« Il y a une déception et une morosité. Ce qui m’inquiète, c’est que la France ne fait plus rêver », note Virginie Duby-Muller, dont la circonscription est frontalière avec la Suisse. Une analyse similaire à celle d’Eva Sas. « La déception, la désillusion, voire une certaine résignation et démobilisation, prédominent. Mais il n’y a pas de colère. On est dans une forme d’attentisme », observe cette élue des quartiers. « Nous sommes à la fin d’un cycle. Il faut avoir l’audace de faire des propositions de retournement » estime Jean-Christophe Fromantin, qui suggère de réorganiser la France en huit grands pôles territoriaux, plus en phase avec l’évolution économique et numérique du pays.
Autre sujet d’inconfort pour les députés, leur impuissance, parfois, à répondre aux préoccupations des électeurs sur des sujets clés comme l’emploi ou le logement. « Il est difficile de répondre aux attentes des gens », reconnaît Monique Rabin, affirmant recevoir jusqu’à « 1 000 mails les fins de week-end ». « On est l’interface, le seul point de contact, entre le citoyen et les politiques nationales », note Eva Sas. L’élue écologiste perçoit ainsi sur le terrain « l’offensive de l’extrême droite qui capitalise sur la misère des gens ». « Il faut aller dans les fêtes de canton pour mesurer la tension sociale. Les gens nous disent : ‘Défendez-nous’. On ne peut pas tout réussir mais on ne peut pas les trahir », ajoute Damien Abad. « Moi, député, conclut Thierry Braillard, je n’ai pas le pouvoir de changer leur vie, mais celui de l’améliorer, oui ».
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Plus d’un tiers de « primo-députés »
Sur les 577 députés élus en juin 2012, 217 l’étaient pour la première fois, soit 37,6 % de la représentation ; 344 étaient des sortants (59,6 %) ; 16 avaient déjà été députés auparavant.
Au nombre de 155, soit 26,9 %, les femmes étaient plus nombreuses qu’en 2007 : 86 parmi les nouveaux députés et 69 parmi les sortants. Toutefois, la parité ne touche pas tous les partis. C’est à gauche que le contingent de femmes est le plus important, avec 109 élues PS.
Au regard du cumul, 376 députés étaient titulaires d’un mandat communal, 144 d’un mandat départemental et 85 d’un mandat régional, 107 ne détenant pas de mandat local.