Evaluer pour évoluer, Le Monde, par Laurent Eloi
Retrouvez ci-dessous l’article rédigé dans Le Mpar Laurent Eloi à propos de la loi « Sas » sur les nouveaux indicateurs de richesse, une loi « de bon augure pour notre République essoufflée ».
Evaluer pour évoluer
LE MONDE ECONOMIE | Par Éloi Laurent (Economiste à l’OFCE et enseignant à Sciences Po et Stanford University, Californie)
La loi « visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques », portée avec une belle opiniâtreté par la députée écologiste Eva Sas, est de bon augure pour notre République essoufflée.
Chaque année, en prélude au débat budgétaire, députés et sénateurs disposent désormais d’une batterie de données susceptibles de les éclairer sur l’état réel de la société française, ce que ne permettent plus les indicateurs économiques standards comme le produit intérieur brut (PIB), qui dominent pourtant encore les débats.
La loi propose également que soient évaluées les grandes réformes engagées par le gouvernement à l’aune des nouveaux indicateurs de bien-être et de soutenabilité, quand trop souvent les politiques publiques nationales visent des horizons abstraits et dépassés comme la « croissance » ou la « compétitivité ».
Il ne faut, donc, pas manquer en 2015 le premier rendez-vous de la représentation nationale avec le nouveau monde économique. Il ne s’agit ni plus ni moins que de rendre visible et intelligible à ses élu(e)s la France telle qu’elle est.
Pas à la hauteur de l’enjeu
La volonté apparente du gouvernement de se contenter d’ajouter aux documents dont disposent déjà les parlementaires une nouvelle liste générale de dix indicateurs plus ou moins pertinents mais inadaptés à la question de l’allocation démocratique des ressources nationales – l’objet même du débat budgétaire – n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Les nouveaux indicateurs de richesse doivent être reliés de manière précise aux politiques publiques qu’ils entendent informer.
Trois enjeux paraissent pouvoir éclairer les orientations du projet de loi de finances : l’évolution des inégalités, l’entretien du patrimoine national entendu dans son sens le plus large, et la place de la France dans le monde.
Sur le premier point, les représentants de la nation doivent pouvoir disposer d’un état élémentaire des inégalités sociales résumé par trois ou quatre indicateurs de répartition, non seulement du revenu, mais aussi du développement humain, et faisant apparaître la dimension territoriale des inégalités françaises. Il paraît naturel que la réduction des inégalités soit placée au centre des préoccupations des parlementaires quand ils votent les recettes et les dépenses du budget, mais – étonnamment – c’est loin d’être le cas aujourd’hui.
Le vote du budget, c’est aussi le souci du passé et de l’avenir de la République, et donc le moment de l’entretien du patrimoine français, entendu au sens de l’ensemble des actifs de la nation, y compris naturels et intangibles, que les parlementaires doivent maintenir et valoriser pour les transmettre. Encore faut-il évaluer ce patrimoine national, ce que permettent des instruments de mesure perfectibles, mais utiles, comme le patrimoine économique national calculé par l’Insee ou les données rassemblées par l’Observatoire de la biodiversité.
Incidence écologique réelle
Enfin, des indicateurs sur la place de la France dans le monde, et notamment son incidence écologique réelle, compléteraient utilement ce tableau nécessairement synthétique, alors que trop souvent les débats budgétaires se déroulent comme si la France était une île dont le « rayonnement » allait de soi.
Adopter ces trois critères pour voter le budget de la France, c’est sortir du règne des objectifs intermédiaires que sont la réduction des déficits publics et la croissance du PIB, dont tout indique qu’ils nous éloignent du bien-être et de la soutenabilité au lieu de nous en rapprocher.
On mesure bien l’importance pour le Parlement français de se montrer exemplaire l’année de la COP21, la conférence mondiale sur le climat, du 30 novembre au 11 décembre, à Paris. Mais, en cette matière comme dans d’autres, à commencer par la transition énergétique et la fiscalité écologique, la France ne sera exemplaire que si elle est sincère.