Poursuivre la dynamique d’encadrement et de régulation de la finance

Eva Sas était à l’Université de rentrée de « Maintenant La Gauche » samedi 4 octobre 2014. Retrouvez son intervention sur la régulation de la finance ci dessous. 

 

Merci au mouvement Maintenant La Gauche de nous avoir réunis ici aujourd’hui pour échanger sur cette dynamique qu’il est essentiel de poursuivre : l’encadrement et la régulation de la finance.

 

I- Pourquoi il faut aujourd’hui se battre pour encadrer et réguler la finance ?

Il y a trois enjeux principaux à l’encadrement de la finance :

  • La première raison, c’est le risque encouru, au travers des banques, par l’économie et la situation sociale de l’ensemble des français, et nous l’avons vu avec la crise financière de 2008, la prise de risque des banques a créé une crise qui s’est propagée à l’économie réelle, et a contraint à mobiliser des finances publiques pour sauver les banques, l’exemple le plus frappant étant celui de Dexia qui aura couté plus de 6,6 milliards d’euros à l’Etat français,
  • La deuxième, c’est que la financiarisation de l’économie a conduit à un management des entreprises focalisé sur le court terme et la valorisation pour l’actionnaire. Et parce que j’ai expertisé des dizaines d’entreprises dans ma vie professionnelle, j’ai pu observer concrètement que cela conduisait à deux conséquences,

 

– d’une part, des prises de risques inconsidérées notamment dans les LBO (Leverage By Out) où les montages financiers sont d’une fragilité extrême du fait d’un endettement de l’entreprise déraisonnable,

– et d’autre part, des exigences de rentabilité de plus en plus élevées pour, soit verser des dividendes, soit augmenter le cours de l’action, qui conduisent bien sur à réduire les investissements de long terme et les dépenses de personnel, et qui pèse bien sur, sur la politique salariale. C’est aussi cela qui fragilise l’économie réelle, et la rend plus vulnérable à la conjoncture.

  • et la 3ème raison, c’est qu’il y a, là aussi, une question de justice sociale, d’équité et de cohésion sociale. Comment peut-on expliquer aujourd’hui à des familles modestes à qui l’on propose de diviser par 3 la prime de naissance à partir du 2ème enfant pour la passer de 923 euros à 308 euros, qu’on ne s’attaque pas aux rémunérations des traders. Il faut rappeler que le salaire médian en France est de 1675 euros mensuels, soit quelques 20 000 euros annuels (au 4ème trimestre 2013) alors que les traders de la Société générale ont touché 823 000 euros de salaires et de bonus en moyenne en 2013. Et 968 000 euros à BNP Paribas.

 

II – On en vient alors à la question qui nous occupe : qu’a-t-on fait pour s’attaquer à cette financiarisation de l’économie ?

Je dois dire ici que la loi de séparation bancaire de juillet 2013 a été la première d’une longue série de déceptions sur la politique économique menée par cette majorité.

Nous avons été ici, je crois, une majorité à être enthousiasmés par la vigueur du discours du Bourget, dont je voudrais rappeler ici les termes :

« Maitriser la finance commencera ici par le vote d’une loi sur les banques qui les obligera à séparer leurs activités de crédit et leurs opérations spéculatives. Aucune banque française ne pourra avoir de présence dans les paradis fiscaux. Les produits financiers toxiques seront purement et simplement interdits. Les stock options seront supprimés. Les bonus encadrés. »

Un discours fort donc. Mais qu’en reste-t-il après le vote de la loi de séparation bancaire de 2013 ?

Il n’y a pas eu séparation, mais seulement obligation de cantonner dans une filiale. Et surtout la notion d’opérations spéculatives a été réduite à peau de chagrin, concernant uniquement les opérations pour compte propre, excluant les investissements dans les fonds spéculatifs, excluant le trading haute fréquence, excluant surtout ce qu’on appelle la tenue de marché[1], alors que le rapport Vickers et le rapport Liikanen, malgré leurs divergences, estimaient tous deux qu’il fallait séparer la tenue de marché, même si elle est réalisée pour un client. Car comme le montrait très bien Thierry Philipponnat, le secrétaire général de Finance Watch, quand la banque prend des positions pour un client, elle fait également des opérations spéculatives pour compte propre. C’est le principal point qui a abouti à ce que nous constatons aujourd’hui, c’est à dire une loi par laquelle seules deux banques, BNP Paribas et la Société Générale, ont été contraintes a créer une filiale pour cantonner leurs activités spéculatives, et qui de l’aveu même de Frédéric Oudéa, président directeur général de la Société Générale, concernait moins de 1% de ses activités.

Je ne ferai pas la litanie de ce qui avait été promis et qui n’a pas été tenu « j’interdirais les stocks options », ou « Aucune banque française ne pourra avoir de présence dans les paradis fiscaux ». On apprend grâce à l’amendement sur le reporting des activités des banques dans les paradis fiscaux, que nous avons pu obtenir, et qui contraint les banques à publier leur chiffre d’affaires, effectifs, et autres éléments par pays, que la BNP emploie toujours 222 personnes à Jersey, est toujours présente aux Iles Caïman, mais n’y dévoile ni ses effectifs, ni son produit net bancaire (comptabilisé avec celui des Etats Unis), et est bien sur toujours présente dans des pays comme le Luxembourg, la Suisse ou les Emirats Arabes Unis. Les banques françaises sont donc toujours présentes dans les paradis fiscaux.

Je pourrais encore parler de l’agence de notation publique qui était prévue, et qui n’a pas vue le jour, ou d’autres renoncements.

Donc nous sommes globalement contraints de dire que le bilan de cette loi est que le risque persiste avec des banques ; que, du fait de la non séparation, les activités spéculatives continuent de bénéficier d’un refinancement à bas taux d’intérêt, grâce à la garantie d’Etat ; et que ces banques sont encore aujourd’hui « too big to fail » et « too big to save ».

Mais plus grave encore, le bilan de cette loi, c’est surtout la perte de confiance dans le volontarisme d’un monde politique qui malgré les discours, a cédé devant le lobby bancaire. Et cette perte de confiance, ce sentiment de faiblesse de l’action publique et de rapprochement avec les grands dirigeants, elle s’est retrouvée à plusieurs reprises, dans le recul devant le mouvement des « pigeons » , – il faut quand même rappeler que du fait de ce recul, les mesures de taxation des revenus du capital n’ont rapporté que 250 millions d’euros au lieu du milliard prévu, – et bien sur dans la négociation d’un pacte de responsabilité où les demandes du MEDEF se sont vues satisfaites sans demande de contreparties.

Un gouvernement a le droit d’adapter sa politique au réel, et d’aménager ses mesures, j’ai même envie de dire qu’un gouvernement a parfois le droit de renoncer à certains engagements de campagne. Mais ce dont il n’a pas le droit, dans la situation sociale et politique qui est la nôtre, c’est de céder devant les lobbys. Nous, élus, nous devons être les garants de l’intérêt général contre les intérêts particuliers, c’est le sens même de la politique, et cette loi, malheureusement, est devenue le symbole du renoncement du politique devant la puissance des lobbys.

C’est cette faiblesse du pouvoir, cette perte de confiance, qui est peut-être le plus terrible échec de la politique menée. Car elle a contribué malheureusement à la montée des populismes que le discours du Bourget désignait pourtant comme le fléau à combattre.

 

III- Alors, pour se tourner vers l’avenir, on en vient à la 3ème question : Comment agir aujourd’hui pour poursuivre ce mouvement à peine amorcé d’encadrement de la finance ?

Certes, nous devons continuer à mettre la pression sur ce gouvernement, c’est une question de crédibilité de la parole publique. Mais de fait, il y a aujourd’hui plus à attendre sur ce sujet de l’échelon européen que de l’échelon national. D’une part, parce qu’il faut le dire, il existe une certaine consanguinité entre les milieux bancaires et les exécutifs qui ne rend pas optimiste quant à la pugnacité qui sera mise en œuvre pour encadrer ce secteur. Et d’autre part, tout simplement, parce que si des mesures avaient du être prises en la matière, elles l’auraient déjà été. Fleur Pellerin a eu beau jeu de dire, à l’adoption de ce texte qu’il ne s’agissait « là que d’une première pierre dans l’édifice de la régulation financière », je crains fort qu’il n’y en ait jamais de deuxième, en tout cas en France.

Mais l’espoir demeure de poursuivre cet encadrement de la finance au niveau européen.

Des mesures y ont déjà été prises. Et d’autres peuvent l’être encore.

La directive européenne CRD 4, appliquée depuis le 1er janvier 2014, limite le montant des bonus dans les banques, à 100% du salaire fixe ou 200% avec l’accord majoritaire de l’assemblée des actionnaires. Une part de ces bonus est versée à l’issue d’une période d’au moins trois ans.

La directive renforce également le reporting pays par pays en obligeant les banques à détailler la nature des activités, le produit net bancaire, le chiffre d’affaires, les effectifs, le bénéfice, le montant de l’impôt sur les bénéfices, et les subventions publiques reçues ;

C’est donc un premier pas réel.

Mais un combat est encore devant et c’est celui de la taxe sur les transactions financières.

Même si Pierre Moscovici ne nous rend pas optimiste, puisqu’il avait déclaré au début de la discussion sur la TTF « La proposition de la Commission m’apparaît excessive et risque d’aboutir au résultat inverse », nous avons tout de même aujourd’hui sur la table un accord qui réunit 11 pays européens et qui taxerait à 0,1 % les actions et les obligations, et à 0,01 % les produits dérivés, et ce serait applicable au 1er janvier 2016. Bien sûr, cette mesure reste insuffisante, et il reste beaucoup d’incertitude sur ses contours et sa mise en œuvre.

Là encore les fédérations professionnelles sont mobilisées pour enterrer cette taxe, et là encore, je crois que nous aurons besoin de toute notre mobilisation politique et citoyenne pour qu’elle aboutisse, et qu’elle aboutisse dans un format ambitieux. Mais nous ne sommes pas désarmés, et je voudrais rendre ici hommage au travail qui est effectué par notre président de groupe au Parlement Européen, Philippe Lamberts, désormais surnommé par les journaux, « l’homme qui fait trembler la City », mais aussi aux travaux menés par des gens comme Olivier Berruyer, ou l’ONG Finance Watch, sans qui rien ne serait possible.

Je conclurais en disant qu’il ne faut pas « désespérer Billancourt », puisque des mesures ont été prises :

  • au niveau national, l’obligation de reporting pays par pays des banques, qui permet de faire reculer progressivement l’évasion fiscale
  • et au niveau européen, l’encadrement des bonus des traders à 100 % du fixe.

Et il ne faut pas désespérer Billancourt, parce que nous poursuivons le combat, notamment pour la mise en place d’une taxe sur les transactions financières européenne digne de ce nom. Et je suis heureuse que nous soyons là aujourd’hui, car cela démontre que nous restons mobilisés et que nous mettons nos forces en commun pour mener cette bataille, que beaucoup voudrait voir enterrée, ensemble et avec vigueur.

 

[1] En janvier 2014, Michel Barnier a proposé une réforme européenne dans laquelle il proposait de ne pas se limiter au cantonnement des opérations pour compte propre, mais également pour les clients, et notamment la fameuse « tenue de marché ». La France et l’Allemagne s’y sont opposées.

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