Loi sur le renseignement, un blanc-seing liberticide

Retrouvez ci dessous la tribune de parlementaires, élus, et militants écologistes sur « la loi renseignement » publiée par Médiapart.

« Plus de sécurité ne doit pas rimer avec moins de libertés », réaffirment les parlementaires, élus, militants écologistes Danièle Auroi, Isabelle Attard, Julien Bayou, Sandrine Bélier, Esther Benbassa, Tewfik Bouzenoune, Cécile Duflot, Pascal Durand, Gregory Gutierez, Jean-Sébastien Herpin, Yannick Jadot, Eva Joly, Gaelle Krikorian, Noël Mamère, Florence Pelissier-Combescure, Sandra Regol, Michèle Rivasi, Sandrine Rousseau et Eva Sas.

L’une des missions fondamentales de l’État est d’assurer la sécurité des citoyens. Une autre est d’être le garant du respect des libertés publiques et des droits fondamentaux. Parmi ces libertés, figure le droit à la protection de la vie privée, entre autre garanti par la Convention européenne des droits de l’homme (article 8), le Pacte international des droits civils et politiques (article 17) et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (article 7).

Nul ne peut nier le sentiment de peur et d’angoisse que les actes de terrorisme génèrent dans notre société. Face à celui-ci, la tâche du politique est de répondre aux inquiétudes des citoyen-nes. Néanmoins, un équilibre doit être trouvé entre l’objectif de lutte et de prévention du terrorisme, et le respect des libertés individuelles. Cet équilibre repose sur la proportionnalité et la nécessité des mesures invoquées au regard de l’atteinte potentielle aux libertés des citoyen-nes. Cet équilibre repose également sur le contrôle de celles et ceux qui sont chargés de surveiller. Plus de sécurité ne doit pas rimer avec moins de libertés.

En 2012, suite aux crimes perpétrés par Mohamed Merah, l’UMP avait proposé une loi relative au terrorisme qui avait suscité un légitime tollé, car elle confondait protection de la population et surveillance intrusive et sécuritaire. Le groupe écologiste avait alors obtenu la création d’une commission d’enquête relative aux éventuels dysfonctionnements des services de renseignements, à laquelle participait Christophe Cavard, député écologiste. Le groupe écologiste rappelait alors, par la voix de son co-président, la volonté de ne pas légiférer dans l’émotion, son refus d’une logique du tout sécuritaire, et la nécessité de protéger la neutralité du réseau Internet.

Pour les écologistes, tant en France qu’en Europe, le respect des libertés fondamentales, y compris dans le contexte numérique, est un principe démocratique qui ne peut être remis en cause. Le Manifeste commun de l’European Green Party (pdf ici), adopté en vue des élections européennes de 2014, rappelait l’opposition fondamentale des écologistes à la surveillance de masse et la nécessité d’assurer la protection de la vie privée, ce qui inclut la protection des données numériques des usagers d’Internet. En septembre 2014, les député-es écolos représentaient le seul groupe qui avait choisi de s’abstenir sur la loi anti-terrorisme, et nos sénateurs avaient finalement choisi de voter contre cette loi.

À la suite des tragiques événements de janvier 2015, le gouvernement a introduit en urgence un projet de loi dit «de renseignement».

Ce nouveau texte de loi a suscité, à juste titre, les vives critiques d’un large panel d’instances officielles (CNDCH, CNNum, Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique de l’Assemblée Nationale), d’organisations humanistes et de syndicats (Ligue des droits de l’homme, Syndicat de la Magistrature, USM, Amnesty France, CGT Police, Ordre des avocats de Paris, etc.) ainsi que de nombreux acteurs d’Internet et de l’économie numérique (W3C, INRIA, Quadrature du Net, Numerama, Gandi, OVH, Online, le Syndicat des Professionnels du Numérique, etc.).

Ce projet de loi tend à légaliser les pratiques des services de renseignements jusqu’ici utilisées sans aucun encadrement, et sans jamais interroger leur efficacité. Ainsi, le texte légalise-t-il l’utilisation des IMSI catchers, dispositifs permettant le recueil de tous les échanges sur téléphones portables transitant dans un périmètre donné (par exemple sur les lieux d’une manifestation).

Plus grave encore, l’installation de “boîtes noires” chez les hébergeurs et fournisseurs d’accès à Internet, qui ont vocation à intercepter l’ensemble du trafic réseau de façon indifférenciée. Des algorithmes doivent permettre de détecter les comportements d’internautes, susceptibles de refléter une activité “terroriste”. Ceci revient, ni plus ni moins, à pister tous-tes les internautes en permanence, dans toutes leurs activités en ligne, dans le but de récolter des “indices” de comportements jugés dangereux. Aucune information technique sur ces dispositifs n’est fournie, au motif du secret défense, aucune information non plus sur les conditions de traitement et d’exploitation de ces données. Aucune justification du coût de ces nouveaux dispositifs n’est présentée par le gouvernement dans son étude d’impact. Et aucun recours n’est prévu si un-e citoyen-ne se retrouve ainsi suivi-e. Cette activité de surveillance globale des internautes se fera donc sans aucune transparence, à la discrétion du pouvoir en place. Et si celui-ci était de nature anti-démocratique, cette surveillance globale pourrait être utilisée à mauvais escient contre tout-e citoyen-ne qui oserait le défier.

La Commission chargée de contrôler l’activité des services n’aura qu’un simple rôle consultatif. En procédure d’urgence, elle ne pourra même pas rendre d’avis préalable. De surcroît, la conservation des données interceptées a été considérablement allongée.

Le domaine d’intervention des services de renseignement sera aussi étendu bien au-delà de la lutte contre le terrorisme, notamment dans le cadre des « atteintes à la forme républicaine des institutions », des « violences collectives portant atteinte à la sécurité nationale » ou des « infractions commises en bande organisée ». Le texte introduit l’idée que les mouvements sociaux contestataires, y compris ceux se réclamant de la contestation écologique, rentrent désormais dans le champ d’utilisation des techniques de surveillance et d’écoute généralisée. Les possibilités de surveillance pour des motifs d’intelligence économique ou des intérêts de la politique étrangère ont été renforcées : surveillera-t-on demain des associations qui luttent contre Areva ou la Françafrique ?

L’article L.811-1 du livre VIII du code de la sécurité intérieure dispose pourtant : « Le respect de la vie privée, dans toutes ses composantes, notamment le secret des correspondances, la protection des données personnelles et  l’inviolabilité  du  domicile,  est garanti  par  la loi.  L’autorité  publique  ne peut  y  porter  atteinte  que  dans  les seuls  cas  de  nécessité  d’intérêt  public prévus  par  la  loi,  dans  les  limites fixées par celle-ci et dans le respect du principe de proportionnalité. »

Sur proposition du député EE-LV Christophe Cavard, le texte de loi, déjà très critiqué en l’état, a étendu les techniques de surveillance électronique aux services pénitentiaires (vote à l’Assemblée Nationale ce 15 avril 2015), et cela contre l’avis même de Christiane Taubira, qui y voyait une « modification substantielle du métier de surveillant » et de la majorité de nos député-es.

Le gouvernement a pour l’instant balayé d’un revers de main ces arguments, en rétorquant qu’il entend simplement légaliser des activités déjà largement pratiquées en dehors de tout cadre juridique.

Or le rôle du législateur n’est sûrement pas de légaliser des pratiques illégales. Il est avant toute chose de défendre l’intérêt général. En l’espèce, l’intérêt général imposerait d’équilibrer le cadre législatif entre la nécessaire sécurité de nos concitoyens face aux menaces d’attentats et la protection de leurs libertés fondamentales. Il nous semble que nous ne tirons toujours pas les bonnes leçons des erreurs du passé. Par exemple, les auteurs des attentats contre Charlie Hebdo avaient parfaitement été identifiés par nos services de renseignements. C’est leur suivi qui avait fini par être abandonné, non par manque d’outils juridiques spécifiques, mais par manque de moyens humains. Si Hayat Boumediene (la compagne du terroriste du magasin casher de la Porte de Vincennes, Amedy Coulibaly) a pu s’enfuir en Syrie, c’est par absence de coordination entre les autorités françaises et européennes d’une part et les autorités turques d’autre part.

Si d’autres attentats ont pu être perpétrés depuis, comme au Danemark le 14 février ou au musée du Bardo à Tunis le 18 mars, c’est que les groupes terroristes n’ont que faire des frontières nationales et cherchent à frapper et à entraîner la panique partout. La lutte contre le terrorisme global nécessite donc avant toute chose une coordination suivie et renforcée entre les services de renseignements et les forces de police à l’international, et bien entendu en premier lieu à l’échelle de l’Union européenne, avec des moyens humains et matériels conséquents. Or ce nouveau texte ne répond ni à cette pénurie de moyens, ni à ce manque de coordination entre les différents services des Etats membres, de même qu’avec leurs homologues à l’extérieur des frontières européennes. A l’heure où l’Union européenne débat de la fameuse directive sur les données des dossiers passagers (PNR, texte qui contraindrait les compagnies aériennes à transmettre aux pays de l’UE les données des passagers qui entrent ou quittent le territoire européen), la volonté de se doter d’un nouvel arsenal juridique sécuritaire spécifiquement français, sans réelle vision européenne, semble quelque peu illusoire.

Les Etats-Unis, des dérives du Patriot Act en scandales des écoutes de la NSA, ont foulé au pied un certain nombre de leurs libertés et de leurs valeurs suite aux attentats du 11-Septembre sans réussir à réellement garantir une plus grande sécurité à leurs concitoyens. Nombre d’Américains semblent aujourd’hui avoir compris qu’à troquer leurs libertés pour plus de sécurité, ils ont, au final, perdu sur les deux tableaux. Alors, des attentats du 11 septembre 2001 à « l’esprit du 11 janvier » 2015, les dirigeants doivent enfin comprendre que cette démagogie ultra-sécuritaire qui consiste à toujours renforcer l’arsenal répressif, c’est tomber dans le piège tendu par les terroristes : mettre à bas les principes qui fondent nos Etats démocratiques en nous incitant à abandonner nos libertés fondamentales au prétexte d’une plus grande sécurité totalement illusoire. Montrons-nous plutôt enfin capables de protéger les Français et l’ensemble des Européens sans toutefois attenter à aucune de leurs libertés.

Ce nouveau blanc-seing accordé au pouvoir exécutif touche aux valeurs et aux droits fondamentaux de notre République. Un tel projet de loi est incompatible avec le type de société libre, ouverte, généreuse, responsable, adulte et conviviale à laquelle aspire l’écologie politique depuis ses premières luttes dans les années 1970 pour l’émancipation des peuples et un “vivre mieux” écologique. Ce projet est enfin incompatible avec le principe de séparation des pouvoirs garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 qui affirme que « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».

Face aux légitimes inquiétudes soulevées, cette loi doit faire l’objet d’une saisine parlementaire du Conseil constitutionnel.

 

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