« De nouveaux indicateurs pour un nouveau modèle de développement »

Retrouvez l’intervention d’Eva Sas dans l’hémicycle pour défendre sa proposition de loi. 

 

Monsieur le président ,

Monsieur le ministre,

Mes chers collègues,

 

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est issue d’un travail de plus de dix-huit mois, fruit de la ténacité du groupe écologiste, puisqu’il y a un an déjà, nous proposions un premier texte sur le sujet des indicateurs alternatifs de richesse. Elle est surtout le fruit d’un travail collaboratif avec des universitaires, avec les instituts statistiques nationaux, avec les parlementaires, et avec le gouvernement et, en particulier, vous, M. le Ministre que nous remercions pour votre écoute et votre contribution.

 

Je voudrais rappeler ici, en préambule, pourquoi il est indispensable, particulièrement aujourd’hui, de compléter le PIB par de nouveaux indicateurs de qualité de vie et de développement durable.

Le premier constat que nous devons faire, est que le PIB ne rend pas compte de la qualité de vie de nos concitoyens, ni même tout simplement, de leur revenu réel. Le paradoxe de la reprise américaine nous en donne une illustration récente : depuis 2009, le PIB des États-Unis a augmenté de 12 % quand le revenu médian diminuait de 3 %, et ce en raison d’un accroissement des inégalités. La croissance du PIB a ainsi occulté, de fait, la situation réelle des ménages. Et l’administration Obama, concentrée uniquement sur les chiffres de la croissance, n’avait donc pas de vision pertinente des difficultés des citoyens américains.

 

La deuxième raison pour laquelle il est nécessaire de compléter cet indicateur qu’est le PIB, c’est qu’il nous paraît absolument nécessaire, aujourd’hui, de réintégrer des préoccupations de long terme – c’est-à-dire de soutenabilité – dans nos politiques publiques. Les politiques menées sont malheureusement de plus en plus court termiste, avec comme seul horizon, la fin de la mandature. Or les décideurs politiques que nous sommes doivent autant se préoccuper de la situation immédiate, que de celle que nous léguerons aux générations futures. Cela suppose de prendre en compte le patrimoine naturel et l’impact que nous avons sur celui-ci, notamment au travers de notre empreinte carbone ou des atteintes que nous pouvons porter à la biodiversité. Mais cela suppose aussi d’évaluer l’actif que nous léguerons aux générations suivantes – c’est-à-dire le patrimoine économique public et privé– en regard de la dette, le passif, que nous leur laisserons également. Ce point est ressorti des auditions que nous avons menées et me parait particulièrement saillant dans la période que nous traversons. L’exemple de l’Allemagne est frappant : alors que facialement, avec une dette en baisse, ce que les citoyens allemands laisseront aux générations futures peut sembler positif, dans les faits, leurs infrastructures se dégradent faute d’investissements, et on peut ainsi s’interroger sur le véritable bilan de ce que l’Allemagne d’aujourd’hui léguera à celle de demain.

 

La troisième raison pour laquelle nous devons nous préoccuper d’autres indicateurs, c’est que nous devons nous adapter à une situation nouvelle : une croissance structurellement faible. Vous le savez, la croissance du PIB en France a été de 1,1% en moyenne sur la période 2001-2014, alors qu’elle était de l’ordre de 6% dans les années 50. Aujourd’hui, les scenarios de croissance structurellement et durablement faible apparaissent donc comme crédibles. Il convient donc de reposer les questions économiques et sociales sous un autre angle et de nous rappeler que la croissance du PIB n’a toujours été qu’un objectif intermédiaire. Notre objectif final, nous, décideurs publics, est avant tout de créer de l’emploi, d’améliorer la qualité de vie de nos concitoyens et de laisser à nos enfants une planète vivable. C’est là que le fait d’avoir d’autres indicateurs à notre disposition prend tout son sens, en nous permettant de reposer les questions économiques et sociales sous un nouveau jour: comment créer de l’emploi, réduire les inégalités, améliorer notre qualité de vie et celle de nos enfants, même dans un scénario de croissance faible? Telle est sans doute la question que nous devons nous poser aujourd’hui. Avec de nouveaux indicateurs, en quelque sorte, pour un nouveau modèle de développement.

Le deuxième volet sur lequel je voudrais insister c’est que De pionnière qu’était la France à la publication du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi en 2009, notre pays semble aujourd’hui en retard sur cette question, face à des pays qui sont passés, eux, de la parole aux actes.

Je voudrais insister sur plusieurs initiatives prises dans d’autres pays: je citerais le Royaume-Uni avec son programme « La roue du bien être » porté par David Cameron lui même, ou l’Allemagne dont la commission parlementaire transpartisane W3 a préconisé la mise en place de 9 indicateurs d’alarme sur les thématiques économique, sociale et écologique ; ou encore la Belgique qui a adopté en janvier 2014 une loi sur les indicateurs complémentaires. Des initiatives, d’ailleurs, qui ont été portées aussi bien par des gouvernements conservateurs que progressistes.

 

En France, ce sont les territoires et, en particulier, les régions qui ont avancé. Je pense notamment à l’Association des régions de France (ARF) qui a élaboré, sous l’impulsion de Myriam Cau, et en collaboration avec des universitaires comme Florence Jany-Catrice, de nouveaux indicateurs de richesse pour donner de nouveaux repères aux régions françaises et permettre des comparaisons entre régions et entre territoires.

Au niveau national, nous avons certes développé un suivi d’indicateurs dans le cadre de la stratégie nationale de développement durable, dans la lignée du rapport Stiglitz. Mais on peut dire, je crois, qu’il n’y a pas eu d’appropriation politique de ces nouveaux indicateurs. D’ailleurs, qui connait, étudie ou même simplement lit, le chapitre XI de l’annexe statistique du rapport économique, social et financier ? Il regroupe pourtant 23 indicateurs de la plus haute importance qui répondent à nos préoccupations. On y retrouvera l’empreinte carbone, les inégalités de revenus ou encore l’espérance de vie en bonne sante. Mais quelle attention est portée à ce tableau de bord ? Quelle publicité en est faite ? En quoi ces indicateurs sont-ils pris en compte pour le pilotage de nos politiques publiques ?

D’où l’objectif clair de notre proposition de loi : mettre au même niveau de visibilité que le PIB, au moment de la loi de finances, un petit nombre d’indicateurs à l’aune desquels, de fait, sera évaluée la réussite de la politique d’un Exécutif.

 

L’objectif de la PPL est de donner une impulsion politique, de lancer une dynamique, qui doit être appropriée par le plus grand nombre, y compris bien entendu par notre gouvernement, mais aussi par les citoyens.

Pour définir les quelques indicateurs pertinents à suivre en complément du PIB, il conviendrait d’organiser, comme dans tous les pays qui ont avancé sur ce sujet, une conférence citoyenne. Il s’agirait à la fois d’associer des experts, les organismes statistiques, les services des différents ministères, mais surtout, les citoyens dont la consultation permettra de prendre en compte leurs attentes, et leur vision du progrès de notre société.

C’est la raison pour laquelle nous n’avons volontairement pas proposé une liste précise d’indicateurs. Celle-ci devra en effet être issue de ce travail coopératif.

 

Toutefois à l’issue des auditions, deux enseignements sont à retenir.

D’une part, un relatif consensus se dessine autour de trois grandes thématiques à traiter au travers de ces nouveaux indicateurs :

1/ l’environnement et notamment les enjeux climatiques et la biodiversité ;

2/ la qualité de vie, et plus particulièrement le revenu réel des ménages et les inégalités de revenus ;

3/et enfin, le patrimoine national public et privé, qui doit être mis en regard de la dette.

 

Je voudrais insister sur la question des inégalités qui est soulignée par tous les experts comme une question centrale. Aujourd’hui, les délais de production sont tels que les statistiques sur les inégalités sont produites avec un décalage de deux ans et demi.

Comme l’a indiqué M. Pisani-Ferry au cours de son audition, « la réduction des délais de production aura un coût, c’est vrai, mais les inégalités sont une priorité. » Est-il encore acceptable que nous ne connaissions aujourd’hui que les inégalités de revenus de 2011 ? Est-ce donc un sujet secondaire que la répartition des revenus en France ? De la même façon, notre empreinte carbone n’est aujourd’hui connue qu’avec trois ans de retard. Est-ce un sujet secondaire de savoir quel est notre impact sur le climat ? Nous devons affirmer que ces deux sujets, parmi d’autres, sont des priorités, et supposent un suivi actualisé.

Le second enseignement que je voudrais retenir de ce travail de préparation, c’est qu’on observe qu’une dynamique internationale se met en place autour des travaux de l’OCDE et d’Eurostat. Les travaux de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi ont en effet été poursuivis sous l’égide de l’OCDE. Une conférence internationale a lieu tous les trois ans. Ces travaux ont déjà produit des effets : l’OCDE publie désormais un rapport sur le mieux-vivre des citoyens qui couvre onze dimensions (le logement, le revenu, l’emploi, les liens sociaux etc.) Au niveau européen, les instituts statistiques élaborent aussi de nouveaux indicateurs de richesse, sous l’égide d’Eurostat, dans le cadre de l’initiative Beyond GDP. C’est dans ce cadre qu’il faudra s’inscrire pour bénéficier des progrès de la statistique européenne et favoriser des comparaisons internationales.

Enfin pour terminer, je dirais que la France a une formidable opportunité de reprendre un rôle de chef de file au niveau mondial sur la question des indicateurs, notamment environnementaux, dans le cadre de la COP21, la Conférence sur le Climat qui aura lieu en décembre 2015 à Paris.

 

J’ajouterai que les terribles évènements qui se sont succédés entre le 7 et le 9 janvier doivent nous interroger collectivement sur les moteurs de l’exclusion et de la violence.

La question de la cohésion sociale et du vivre ensemble n’a peut-être jamais été aussi primordiale.

Connaître la réalité de notre société, dans ses multiples aspects, doit donc aussi, à mon sens, nous permettre de mieux répondre à cet enjeu démocratique. Les nouveaux indicateurs de richesse peuvent nous y aider.

Je concluerais ici par des remerciements et une proposition. Mes remerciements à vous, M. Le Ministre, des échanges fructueux que nous avons eus autour de cette proposition de loi, ainsi qu’aux parlementaires de la Commission des Finances pour leurs remarques pertinentes et leur soutien. Et une proposition : que dès le budget 2016, nous expérimentions ensemble ces nouveaux indicateurs, pour montrer aux français, qu’au-delà du PIB, nous nous préoccupons de leur revenu, de leur qualité de vie, de leur environnement et du patrimoine que nous léguerons à nos enfants.

Je vous remercie.

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